Page:Halévy - Ba-ta-clan, 1855.djvu/7

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infamie ! lâcheté ! perfidie ! trahison ! (Un nouveau geste très énergique fait sonner le chapeau chinois.) Avoir une âme immortelle, se nommer Anastase Nourrisson, avoir vu pour la première fois le soleil sur la grande place de Brives-la-Gaillarde, et régner sous le nom de Fè-ni-han et sur un peuple de Chinois ! (Ici nouveau geste qui secoue plus vivement encore le chapeau chinois : exaspéré de ce tapage, Fè-ni-han porte l’instrument dans le support placé près du trône.) Rébus des rébus ! Logogriphe des logogriphes. Et si j’exerçais tranquillement le pouvoir souverain ! Mais non ! une terrible conjuration vient compromettre le savant équilibre de mes coussins ! La foudre est sur ma tête, et je vais être privé du secours de mon talisman : Raca ! Ces deux syllabes et ma ruade magique, mon salut, ma force, mon espérance perdent leur influence sur l’imagination de mon peuple ! Il y a encore six mois, je m’écriais de ma voix la plus douce et de ma ruade la plus gracieuse ; Raca ! Raca !… J’étais obéi ! Que les temps sont changés !… Aujourd’hui si je m’écrie de ma voix la plus formidable et de ma ruade la plus énergique : Raca ! Raca ! les conjurés me répondent par le chant du Ba-ta-clan ! (Avec désespoir.) Le Ba-ta-clan !… (Au public.) Vous ne le connaissez pas !… Non !… Eh bien, ce n’est pas moi qui vous le chanterai ! O ma chère liberté, quand te retrouverai-je ! Oh ! les clochers de Brives-la-Gaillarde, quand, quand me sera-t-il donné de vous presser dans mes bras émus ? Oh ! les vallons suspendus au-dessus des montagnes et les montagnes abritées par les vallons !… Oh ! les prairies artificielles, les horizons se perdant dans les nuages, les mille voix de la création, la chute des feuilles et les irrigations par le drainage ! Oh ! tout ce qui va, vient, court, grouille et barbotte, les veaux, les bœufs, les ânes, les oies, les poules, les génisses, les taureaux, les canards et les lapins !

(À ce moment entre Ko-ko-ri-ko, qui s’approche de Fè-ni-han sans être vu de lui.)

Oh ! tout ce qui verdoie, fleurit et fructifie : artichauts et modestes violettes, asperges et roses printanières, navets et dahlias bleus, melons, jasmins, carottes, haricots, aubépines odorantes, quand vous reverrai-je ?

(Ko-ko-ri-ko pose sa main sur l’épaule de Fè-ni-han. Violents murmures dans la coulisse.)


Scène V.

FÈ-NI-HAN, KO-KO-RI-KO.
FÈ-NI-HAN.

Ciel ! m’aurait-il entendu ? Le malheureux ! je peux lui parler français ! il ne me comprendra pas ! Je peux l’injurier dans ma langue maternelle ! Injurions-le ! injurions-le ! (Fè-ni-han lui souffle deux ou trois fois sur le visage : Ko-ko-ri-ko fait d’affreuses grimaces.) Je n’aurai donc pas le courage de l’étrangler un beau matin ! vieux Chinois ! vieil as de pique ! vieille potiche ! (Ko-ko-ri-ko ouvre la bouche sans parler.) Il ouvre la bouche ! Que va-t-il me chanter, mon Dieu ! (on entend dans la coulisse les murmures du peuple.) Des murmures ! Encore une condamnation à mort ! Ce monsieur va me la demander en italien sur des paroles chinoises ! Puisqu’il le faut, allons-y gaîment !

DUO.
KO-KO-RI-KO.
O Fè-ni-han, Ké-ki-ka-ko,

Fé-an-nich-ton, morto, morto !

FÈ-NI-HAN.
Raca !
KO-KO-RI-KO.
Raca ! Morto !
FÈ-NI-HAN.
Raca ! Morto ! Raca !
KO-KO-RI-KO.
Raca ! Morto ! Raca ! Morto !
FÈ-NI-HAN.
Raca ! Morto ! Raca ! Morto ! Raca !
KO-KO-RI-KO.
Raca ! Morto ! Raca ! Morto ! Raca ! Morto !
FÈ-NI-HAN.
Ah ! quel horrible personnage !

Avec sa lance et son langage
Il me fait mourir de frayeur !
Ah ! que j’ai peur ! ah ! que j’ai peur !
Mais n’excitons pas sa colère,
Et pour lui plaire
Parlons-lui sur le même ton,
Dans son jargon !
Morto ! morto ! morto !

KO-KO-RI-KO.
Morto ! morto ! morto !Morto ! morto ! morto !
KO-KO-RI-KO et FÈ-NI-HAN.
Morto ! morto !

Poignardato !
Etranglato !
Découpato !
Embrochato !
Déchirato !
Empilato !
Ké-an-nich-ton !
Ké-ki-ka-ko !
La morto !

(On entend au loin le chant du Ba-ta-clan.)
KO-KO-RI-KO.
O Fè-ni-han !

Le Ba-ta-clan !

FÈ-NI-HAN.
Le Ba-ta-clan !