Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/413

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qu’on voudra réunir ces diverses réalités pour constituer avec elles une réalité, par exemple l’homme, on n’y parviendra jamais car, chacune des Idées, qu’on la considère d’ailleurs maintenant ou qu’on ne la considère pas comme un universel, étant un être à part, l’homme sera formé du bipède, du pluripède, de l’animal pourvu de pieds, de l’animal, etc., et tout cela, au lieu de faire un être, ne sera jamais qu’un agrégat d’êtres (Métaph. Ζ, 14). Donc les Idées ne sont que des abstractions : il est impossible que la substance et ce dont elle est la substance soient deux choses à part : les formes intelligibles sont en puissance dans les formes sensibles, et il n’y a rien qui existe à part des choses sensibles et étendues[1]. Bref Aristote se montre profondément pénétré de l’esprit nominaliste lorsqu’il examine la conception que son maître s’est faite du réel. Il condamne de la façon la plus expresse le réalisme platonicien.

Mais cette critique du réalisme platonicien n’est encore qu’un préambule, et il s’agit de voir comment Aristote a, pour sa part, conçu et défini le réel. Il semble qu’il a conçu et défini le réel de deux points de vue différents, celui de la sensation et celui de la raison, de sorte qu’il restera finalement à se demander lequel de ces deux points de vue compte le plus et quel est, en dernière analyse, aux yeux d’Aristote, le réel le plus réel. — Qu’Aristote ait regardé les sens comme nous révélant des réalités, c’est ce qui ne saurait être un instant mis en doute. Rappelons-nous, par exemple, comment il prend en pitié ceux qui voudraient contester l’existence des êtres naturels, alors que leur existence nous est attestée par les sens (cf. p. 299). L’attitude des Éléates et des Mégariques, qui ne veulent pas déférer au témoignage de la sensation, est, pense-t-il, au-dessous de la critique. Placé à ce point de vue sensualiste, Aristote

  1. Métaph. Α, 9, 991 b, 1 (Μ, 5, 1079 b, 38) : ἔτι δόξειεν ἂν ἀδύνατον εἶναι χωρὶς τὴν οὐσίαν καὶ οὗ ἡ οὐσία. ὥστε πῶς ἂν αἱ ἰδέαι οὐσίαι τῶν πραγμάτων οὖσαι χωρὶς εἶεν ; De an. III, 8, 432 a, 3 : ἐπεὶ δὲ οὐδὲ πρᾶγμα οὐθὲν ἔστι παρὰ τὰ μεγέθη… τὰ αἰσθητὰ κεχωρισμένον, ἐν τοῖς εἴδεσι τοῖς αἰσθητοῖς τὰ νοητά ἐστι…