Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/420

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Aristote était trop pénétré de l’esprit de la philosophie conceptuelle pour céder, lorsqu’il s’agissait de définir la réalité suprême, à la tendance qui le reporte souvent vers le réalisme des Physiologues, en haine de celui de Platon. Il fallait bien qu’il définit par la forme le principe souverainement explicatif et souverainement réel. C’est ce qu’il a fait de la façon, non seulement la plus expresse, mais aussi la plus conséquente et la plus consciente. Il ne se contente pas de dire sans cesse que Dieu est tout en acte. Il écarte encore de lui la quantité[1], ce qui, à moins de réussir à rendre intelligible la quantité elle-même, était le moyen décisif de donner à cet être des êtres une essence conceptuelle. Si les Idées de Platon ne sont pas dans le lieu, le premier moteur est inétendu, et même, puisqu’Aristote distingue du temps l’éternité, Dieu, tout en durant peut-être, n’est pas dans le temps au sens ordinaire des mots[2]. Il est donc bien entendu qu’il ne reste au fond de l’être suprême aucune trace de matière ou de support. Mais cette façon de définir la réalité suprême ne constitue pas, par elle-même, un progrès sur Platon. On n’en saurait dire

  1. Voir supra, p. 402 le texte de Métaph. Λ, 8, 1074 a, 33 et 7, 1073 a, 5-11 : dans ce dernier passage Aristote renvoie à une démonstration antérieure, δέδεικται δὲ καὶ ὅτι μέγεθος οὐδὲν ἔχειν ἐνδέχεται ταύτην τὴν οὐσίαν [sc. τὴν ἀίδιον καὶ ἀκίνητον] ; c’est celle de la Physique, VIII, 10, 267 b, 17 à la fin (voir p. 349 sq.).
  2. Phys. IV, 12, 221 b, 3 : … τὰ ἀεὶ ὄντα, ᾗ ἀεὶ ὄντα, οὐκ ἔστιν ἐν χρόνῳ. D’autre part les natures simples qui sont l’objet de la pensée divine sont pensées dans un temps indivisible, De an. III, 6, 430 b, 14 : τὸ δὲ μὴ κατὰ τὸ ποσὸν ἀδιαίρετον ἀλλὰ τῷ εἴδει νοεῖ ἐν ἀδιαιρέτῳ χρόνῳ καὶ ἀδιαιρέτῳ τῆς ψυχῆς… Ces textes permettent de comprendre le remarquable passage sur lequel s’achève le ch. 9 de Métaph. Λ, 1075 a, 5 : ἔτι δὴ λείπεται ἀπορία, εἰ σύνθετον τὸ νοούμενον [l’objet de la pensée divine]· μεταβάλλοι γὰρ ἂν [la pensée divine] ἐν τοῖς μέρεσι τοῦ ὅλου. ἢ [mais ne faut-il pas dire plutôt] ἀδιαίρετον πᾶν τὸ μὴ ἔχον ὕλην ; ὥσπερ ὁ ἀνθρώπινος νοῦς, ἢ ὅ γε [ou en général tout intellect qui a pour objet…] τῶν συνθέτων, ἔχει ἔν τινι χρόνῳ [cf. 7, 1072 b, 15, 25 : μικρὸν χρόνον ἡμῖν, ὡς ἡμεῖς ποτέ]· οὐ γὰρ ἔχει τὸ εὖ ἐν τῳδὶ ἢ ἐν τῳδί [sc. χρόνῳ], ἀλλ’ ἐν ὅλῳ τινὶ τὸ ἄριστον, ὂν ἄλλο τι [quoique ce parfait soit distinct de lui ; à plus forte raison si ce parfait était la pensée même qui le pense, comme c’est le cas pour Dieu]· οὕτως δ’ ἔχει αὐτὴ αὑτῆς ἡ νόησις τὸν ἅπαντα αἰῶνα. Cf. Bonitz, Metaph. II, p. 517 sq.