Page:Hamelin - Le Système de Renouvier, 1927.djvu/30

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d’une histoire de l’humanité régie par cette idée[1]. Voilà donc qui est entendu : le Renouvier de la première période croit fortement au progrès nécessaire de l’humanité et à une histoire qui serait scientifique comme ayant réussi à saisir et à rendre manifeste la série hiérarchique des moments de cette évolution. Mais chez ce saint-simonien qui est aussi un libéral et un individualiste, chez ce fataliste qui ne laisse pas d’admettre aussi la liberté, les réserves, et elles sont graves, suivent de près. Ce n’est pas seulement sur le but de l’évolution historique qu’il en fait (ibid.), c’est sur le cours interne de l’évolution. Il ne veut pas que l’on confonde l’individu avec l’humanité : il y a un progrès pour l’humanité et pour tout ce qui dans l’homme dépend de l’humanité : mais dans ce qui est spéculation pure, création de l’art et quelquefois même forme politique, on retrouve la spontanéité de l’individu, on est en face de conceptions qui n’ont pas d’âge, pas de place marquée dans un développement. D’autre part, le progrès, quand il existe, n’est à la rigueur ni constant ni continu, (ibid. 34-35). Enfin les époques qu’on prétend distinguer dans l’évolution de l’humanité et même de l’humanité pensante ne se séparent pas la plupart du temps aussi bien qu’on le croit : témoin les trois états d’A. Comte qui chevauchent l’un sur l’autre au lieu de se situer bout à bout (ibid. 31). Il s’en faut donc de beaucoup que les Manuels conçoivent l’histoire exactement de la même façon que Saint-Simon et Comte : cela se voit dès maintenant et pourtant il nous reste encore à appeler l’attention sur deux différences décisives. D’abord, le Manuel de philosophie ancienne (I, 37), parle d’une « histoire purement inductive » et il entend faire à cette histoire une place fondamentale. Ensuite le caractère contingentiste et pluraliste de la conception de l’auteur se marque avec une grande force dans le refus qu’il fait

  1. « Enfin, au commencement de notre siècle, Saint-Simon posa hardiment dans l’histoire du progrès quelques point de repère à jamais inébranlables ; il reconnut que, dans l’ordre politique, dans celui de l’organisation sociale et de la morale même, il était possible de tracer certaines séries de faits évidemment progressifs au point de vue de la raison moderne… En même temps qu’il esquissait… les grandes lignes de l’histoire, Saint-Simon fixait hardiment au progrès un but final. »