Page:Hans Staden - Des hommes sauvages nus feroces et anthropophages, original 1557.pdf/73

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Les sauvages accoururent en me criant : Voilà un Français qui vient d’arriver, nous allons savoir si tu es ou non son compatriote. Cette nouvel le me réjouit beaucoup ; car je me disais : « C’est un chrétien, il va tâcher de me tirer d’affaire. »

Ils me conduisirent vers lui, nu comme j’étais. C’était un jeune homme : les sauvages l’appelaient dans leur langue Karwattuware. Il me parla en français, que j’avais beaucoup de peine à comprendre ; et les sauvages qui nous environnaient écoutaient avec beaucoup d’attention. Voyant que je ne le comprenais pas, il leur dit, dans leur langue : Tuez-le et mangez-le, car ce scélérat est un vrai Portugais, votre ennemi et le mien. Je compris bien cela, et je le suppliai, au nom de Dieu, de leur dire de ne pas me manger ; mais il me répondit : « Ils veulent te manger. » Cela me rappela ce passage de Jérémie, chapitre XVII, où il est dit : Maudit soit l’homme qui compte sur les hommes. Cette réponse me brisa le cœur. Je n’avais, pour me couvrir, qu’un seul morceau de toile que les Indiens m’avaient donné ; Dieu sait où ils l’avaient pris. Je l’arrachai et le jetai aux pieds de ce Français, en disant : « Puisque je dois mourir, pourquoi cacherai-je plus longtemps ma chair aux yeux des hommes ? » Ils me reconduisirent dans la cabane qui me servait de prison, et je me jetai dans mon hamac, où je me mis à chanter un psaume, en versant des larmes abondantes ; et les Indiens disaient : « C’est un vrai Portugais ! Voyez comme il a peur de la mort. »

Le Français dont j’ai parlé resta deux jours dans ce village,