Aller au contenu

Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Georges, ainsi qu’on reconnaît, en s’éveillant, une patrie jadis chère et bien longtemps quittée.

Desreynes le sentit revenir à lui, et, prenant la main de son frère, il le regarda d’un œil si chargé de prière et d’amour, que l’autre y retrouva d’un coup le drame entier de son désastre, et en même temps le réconfort d’un impérissable attachement.

— Ami, ami, que je suis malheureux !

— Mon pauvre Pierre… Pardonne-moi…

— N’en parle pas, s’écria le désespéré en lui fermant la bouche avec sa main… Ne rappelle pas…

— C’est moi…

— Je t’en supplie…

— Je t’aimais pourtant bien, et je t’aime encore plus.

Une vierge frissonne ainsi aux premiers mots d’amour : Pierre entendit cette phrase avec une volupté d’âme que seuls connaissent les mystiques ; son agonie se réchauffait dans l’effusion d’une tendresse reconquise, et son cœur fermé se rouvrait pour la douceur de vivre à deux. On ne le délaissait donc pas, lui, le banni éternel, qui s’était vu dévoué aux angoisses d’un exil sans fin, dans ce monde et dans l’autre, si l’autre existe !

On se rendait à lui, on l’aimait !

Il éprouva une joie si pure, que pas un vent de rancune ou de jalousie ne plissa pour cet instant la sérénité de son rêve. Lorsqu’on est trop près de la mort et que l’on ne meurt pas, c’est la haine qui meurt.