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Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/308

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L’heure qui s’écoula fut tristement délicieuse pour tous deux : ils se revoyaient comme à la suite d’une absence longue d’années ; on eût dit que des événements nombreux les avaient séparés, qu’ils s’étaient pleurés l’un et l’autre, et se rejoignaient après en avoir abdiqué l’espérance.

Pierre, pendant cette heure, ne pensa presque plus à Jeanne, et pas une fois aux trahisons.

Les douleurs de l’homme, si vivaces qu’elles puissent être, sont comme des bêtes et veulent dormir ; parfois, elles nous oublient plutôt que nous ne les oublions, et s’assoupissent en nous pour le temps d’un espoir qu’elles égorgeront au réveil ; nul, en fût-il mort, n’a souffert sans cesser de souffrir.

Pierre était docile comme un enfant ; et Georges, qui se souvenait de son crime et de son devoir, se faisait doux comme une mère.

Jusqu’à ce jour, devant la supériorité d’Arsemar, il s’était senti le moins puissant et le plus jeune ; bien souvent ses fantaisies s’étaient soumises à la raison du grand aîné, sans que cette déférence coûtât rien à son amour-propre. Mais les rôles se renversaient maintenant, et Pierre anéanti avait besoin d’un guide. Il faudrait dorénavant réfléchir pour les deux, être chef de famille, donner la sagesse du père et la caresse de la mère…

Un domestique les aborda, et, feignant de se tromper, déclama : « Madame est servie ! »

Desreynes eût voulu écraser le valet ; Pierre, brus-