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Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/323

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l’escalier, et monta. Les corridors étaient pleins du froid crépuscule qui vague dans les maisons désertes. Arrivé à la porte de Jeanne, Pierre trouva la serrure clavée : il en eut un profond chagrin. Hélas ! Sa propre chambre était fermée pour lui : sa vie passée avait un mur, et s’il y voulait revenir, c’est elle qui ne le voulait plus.

Il posa sur le chambranle ses bras entrecroisés et y cacha sa tête, comme en prière.

Georges alors survint, et chercha la clef dans le trousseau ; et tandis qu’il cherchait, ils restaient face à face dans la pénombre, mornes tous deux, pareils à des spectres, Georges, deux fois honni par lui-même et par l’autre ; car les rancunes revenaient !

Desreynes ouvrit enfin, et se retira.

Pierre entra.

La chambre était noire, avec ses volets clos et ses rideaux baissés, comme au matin, quand il se réveillait et contemplait longtemps Jeanne endormie à son côté ; la même lueur se filtrait sous les draperies. Le lit dressait dans l’ombre un mausolée de pierre grise. Il y vint et s’agenouilla : devant l’autel ou devant la tombe ? Au moment de se relever, il baisa le pan du couvre-lit. Il aimait, il souffrait, et ne pouvait plus maudire personne.

Il voulait emporter une chose de là, mais il ne voulut pas se le permettre.

La caveau de sa vie ! Avant de le quitter, il se retourna, et sur la table brune aperçut la tache blanche