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nora l’énigmatique

— Il le faut, Édouard, répliqua le capitaine. Après, quand tu m’auras entendu, nous nous séparerons si tu veux… J’espère que tu ne voudras pas.

La perception vint au sergent de cette situation fantastique où son supérieur paraissait le supplier.

— Oui, Édouard, reprenait l’autre, je suis… lui… Le soir de Morona, tu as peut-être remarqué que j’ai caché à l’aide d’un vêtement, des photos : ta photo de bébé et celle de ta mère, qui ne m’ont jamais quitté… Le hasard nous a rapprochés. Tu ne saurais croire l’émotion brutale que j’ai ressentie quand j’ai su, à l’examen de ton dossier, qui tu es. J’ai eu un moment l’idée de m’éloigner immédiatement, parce que je me croyais indigne, incapable… Je n’ai pas pu. Dans un roman-feuilleton, on parlerait de la voix du sang. Peu importe ! Je suis resté. J’ai voulu réparer, un peu ; t’aider à faire ton chemin dans l’armée. Je sentais bien que ça t’agaçait ; j’ai senti aussi que tes mouvements d’impatience recouvraient une sorte d’attirance… Si je me décide à parler, c’est qu’un grand changement s’est opéré en moi et que, peut-être, notre vie à tous se modifiera : tu en décideras… Je ne dirais rien, si nous n’étions entre soldats…

Ne parle pas encore. Que je te dise tout ; après, tu jugeras mieux.

Je me doute bien que mon départ m’a valu les épithètes de sans-cœur, de vaurien, que sais-je. En réalité, je suis parti afin d’éviter une torture, une vie malheureuse à des êtres que j’aimais. Ah ! tu sais, la vie n’est pas simple et l’homme, changeant et divers comme dit Montaigne, est un animal bien compliqué. Ou je me trompe fort, ou tu es de ceux qui peuvent comprendre.