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les demi-civilisés

dans votre vie ! Vous n’êtes qu’une femelle, Sévère Pinon. Devant une femme que vous n’aimez même pas, vous êtes plus mou que de la gélatine. Pouah ! que vous êtes décevant !

Pinon absorba un autre verre et prit un air de circonstance. Rien qu’à sa physionomie, je vis qu’il se passerait quelque chose.

Le foyer ardent jetait des lueurs rouges dans le chalet. À chaque bond de la flamme, je voyais Dumont ramper vers les femmes… Et on buvait toujours.

Puis ce fut le comble. Le poète devint tragique. Il s’étendit de tout son long sur le plancher et se mit à exécuter, sous les pattes des chaises et sous les pieds des gens, un mouvement de rotation, en beuglant les noms de sa femme et de ses enfants :

— Anna ! Mon Anna, mon martyre ! J’ai péché, mon Dieu ! J’ai péché ! Mes enfants ! Mes enfants ! Je maudis le jour où je devins votre père, car j’étais indigne de vous engendrer… Arrière ! Arrière ! vous tous, mille démons qui me brûlez la gorge ! Je vais mourir, oui, mourir de honte !… Ah ! la honte, la bonne honte, j’en veux, de la honte ! Et vous, les amis, allez à la fontaine, apportez-moi une pleine coupe de remords ! Ne voyez-vous pas que je meurs de soif ?… Quoi, vous refusez ? Vous êtes tous des maudits, rien que des maudits ! J’écrirai un jour votre histoire. Je vous crucifierai tous sur votre fumier.