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INTRODUCTION


profit : gagner de l’argent, gagner l’enjeu d’une partie, d’une gageure, gagner le gros lot d’une loterie ; par analogie, obtenir un avantage sur quelqu’un : gagner une bataille, un procès, le prix de la course ; gagner l’affection, le cœur de quelqu’un ; et, par une sorte d’ellipse, gagner quelqu’un au jeu, gagner quelqu’un de vitesse à la course, gagner quelqu’un par des présents. Enfin l’on applique le mot ironiquement à ce qui est tout le contraire d’un avantage : il n’y a que des coups à gagner, il a gagné une bonne pleurésie, il a gagné cette maladie en soignant son frère. Partout se montre à travers ces transformations le trait commun qui domine et relie entre eux les divers sens du mot gagner, l’idée d’acquérir, d’obtenir quelque chose qui profite ; et l’on suit en quelque sorte cette idée dans les phases diverses de la vie sociale, appliquée d’abord aux fruits que la terre fournit à l’homme, puis au produit de sa chasse, au butin qu’il fait à la guerre, enfin au profit qu’il tire du commerce et de l’industrie, etc. C’est cette idée générale, toujours présente, qu’il faut mettre en lumière, pour donner véritablement l’histoire d’un mot.

Mais l’esprit ne suit pas toujours cette voie simple, qui consiste à étendre une même idée à une série de sens analogues au sens primitif. Au lieu de partir d’un caractère unique appliqué successivement à des objets différents, il peut considérer dans l’objet primitif divers caractères, dont chacun sert de point de départ à autant d’extensions ou de groupes d’extensions nouvelles.

Le pain est un aliment fait d’une masse de farine pétrie et cuite au four ; de là trois idées : l’idée de masse, l’idée de pâte et l’idée d’aliment. L’idée d’aliment conduit au sens figuré de subsistance : avoir le pain quotidien, gagner son pain. L’idée de pâte conduit au sens de pain à cacheter, de pain à chanter. L’idée de masse conduit au sens de pain de sucre, de pain de suif.

La queue d’un animal, considérée comme appendice du corps, donne la queue de la poêle, et, au figuré, la queue d’un parti ; considérée dans sa forme allongée, la queue de billard, et, au figuré, la queue des spectateurs.

La flamme est l’incandescence d’un gaz ; une figure, tirée de cette incandescence, en fait le synonyme d’amour ardent ; une autre figure, tirée de la forme et du mouvement de la flamme, en fait le nom d’une banderole.

Dans ces exemples, comme dans les précédents, il y a extension du sens primitif, mais avec cette différence que le point de départ, simple dans les premiers (feuille, gagner), est multiple dans les derniers (pain, queue, flammé).

Dans d’autres cas, l’esprit commence par appliquer, comme tout à l’heure, le nom de l’objet primitif à un second objet qui offre avec celui-ci un caractère commun ; mais ensuite, oubliant pour ainsi dire ce premier caractère, il part du second objet pour passer à un troisième qui présente avec le second un rapport nouveau, sans analogie avec le premier ; et ainsi de suite, de sorte qu’à chaque transformation la relation n’existe plus qu’entre l’un des sens du mot et le sens immédiatement précédent.

Mouchoir est d’abord l’objet qui sert à se moucher (*muccare, de mucus). La pièce d’étoffe qui sert à cet usage donne bientôt son nom au mouchoir dont on s’enveloppe le cou. Or celui-ci, sur les épaules des femmes, retombe d’ordinaire en pièce triangulaire ; de là le sens du mot en marine : pièce de bois triangulaire qu’on enfonce dans un bordage pour boucher un trou.

Roman signifie au moyen âge tout ouvrage écrit en roman, c’est-à-dire en langue vulgaire, en français. Plus tard, au XVe siècle, il désigne les compositions du moyen âge, en vers ou en prose, qui contiennent des histoires fabuleuses. Puis il prend le sens d’histoire fabuleuse composée sur le modèle des anciens romans et spécialement sur le modèle des romans de chevalerie ; de là le sens moderne : récit d’aventures imaginaires.

Bureau désigne primitivement une sorte de bure ou étoffe de laine : n’étant vêtu