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INTRODUCTION


ment dans la locution figurée avoir maille à partir avec quelqu’un, avoir quelque chose à démêler avec lui ; proprement avoir maille (monnaie ancienne trop petite pour être partagée) à partir (à partager) avec quelqu’un ;

Témoin (du latin testimonium), qui voulait dire primitivement témoignage, qui plus tard a pris le sens de personne qui témoigne, et dont le sens primitif s’est conservé dans l’expression prendre quelqu’un à témoin ;

Règne, qui ne conserve sa signification première de royaume, usitée en ancien français, que dans les expressions figurées règne végétal, règne minéral, règne animal ;

Traire (du latin trahere), dont le sens primitif tirer, conservé dans les composés extraire, soustraire, a fait place au sens de tirer le lait du pis de la vache, de la chèvre, et ne se retrouve plus que dans l’expression technique or, argent trait, tiré à la filière ;

Cueillir (du latin colligere), dont le sens primitif réunir, conservé dans le composé recueillir, s’est appliqué d’abord à l’idée de réunir des fleurs ou des fruits (en les détachant de la tige), puis a fait place au sens de détacher de la tige même une fleur, un fruit unique : cueillir une rose, une pomme, et ne se retrouve plus avec sa signification première que dans des termes de métiers : en verrerie, où l’ouvrier cueille avec la canne le verre en fusion ; en maçonnerie, oii l’ouvrier cueille avec la truelle le plâtre gâché, etc.

Il en est de même de certaines formes, de certains tours.

On dit : elle se fait fort de réussir, et dans cette construction on prend fort pour un adverbe. Or, dans cet exemple, nous trouvons un reste de la déclinaison ancienne de toute une classe d’adjectifs : fort, grand, etc., qui, comme les adjectifs latins correspondants, fortis, grandis, avaient une forme unique pour le masculin et le féminin. C’est ainsi que l’on dit encore : la grand mère, la grand messe.

La vieille langue disait sans article : manger pain, se nourrir avec pain, manquer de pain. On a dit ensuite, avec l’article partitif : manger du pain, se nourrir avec du pain ; la forme ancienne a survécu avec la préposition de : manquer de pain, se nourrir de pain (et non de du pain).

L’ancienne langue unissait les unités aux dizaines, aux centaines, aux mille, ^ par la conjonction et : vingt et deux, cent et trois :

Quoique ignorante à vingt et trois carats 1[1].

La conjonction et ne s’emploie plus que devant l’unité : trente et un, les mille et une nuits.

L’ancien français traduisait la double forme du comparatif latin doctior quam Petrus et doctior Petro par deux formes différentes : plus savant que Pierre, et plus savant de Pierre. Cette dernière construction a disparu, sauf dans les locutions : il a plus, il a moins de vingt ans ; ils étaient plus, ils étaient moins de cent.

La vieille langue pouvait intercaler le complément du verbe entre l’auxiliaire avoir et le participe passé s’accordant avec le complément. On lit dans Corneille :

Aucun étonnement n’a leur gloire flétrie 2 [2],

là où nous dirions aujourd’hui : n’a flétri leur gloire. Cette ancienne tournure, dont les exemples abondent encore chez les poètes du xviie siècle, a disparu de la langue, même en poésie, excepté dans certaines locutions consacrées, ou lorsque les mots tout, rien, beaucoup, peu, servent de complément : il a toute honte bue ; il a beaucoup bu ; il a peu mangé ; il a tout fait ; il n’a rien oublié. Ainsi nous remontons au

  1. 1. La Fontaine, Fables, vii, 15.
  2. 2. Horace, iii, 5.