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INTRODUCTION


flamme) ; ou elle fait passer le nom d’un premier terme à une succession d’objets différents, par l’extension du caractère commun qui relie chacun des termes de la série à celui qui le précède (mouchoir, roman, bureau). Tantôt, par une marche directement opposée, elle procède de restrictions en restrictions, rétrécissant plus ou moins le caractère général exprimé par le terme primitif (pis, labourer, menuisier ; monde, couvert).

Tels sont les procédés principaux auxquels l’esprit a recours pour transformer le sens des mots. Dans certains cas il applique à la fois plusieurs de ces procédés et les fait concourir au développement d’un même terme. Le mot timbre en fournit un curieux exemple.

Timbre, du latin tympanum (latin populaire timbanum), a voulu dire primitivement tambourin ; ensuite il a signifié une cloche sans battant sur laquelle on frappe avec un marteau , puis la sonorité particulière aux différents instruments de musique ; il a été employé au sens de bassin[1] ; on a donné ce nom, dans les armoiries, au casque qui surmonte l’écu ; enfin, il a désigné la marque de l’État sur le papier dont on doit se servir pour certains actes. Où est le lien de ces significations variées ? Nous le trouvons dans la signification primitive du mot : tambour de forme hémisphérique. De ce premier sens, par une série d’extensions analogues à celles que présente le mot bureau, sortent les sens qui suivent : la calotte de métal qu’un marteau fait résonner, la manière dont résonnent les diverses sortes d’instruments et le caractère de la sonorité, qui résulte de la combinaison des harmoniques avec le son fondamental. Mais dans cette calotte de métal on peut considérer un autre caractère (comme on l’a vu pour les mots pain, queue, flamme) : ici, c’est la forme arrondie qui, par un développement analogue à celui du mot feuille, fait appliquer le mot premièrement à une sorte de bassin circulaire ; puis à la calotte du casque qui surmonte l’écu dans les armoiries. De là le mot timbre arrive à désigner le cimier et tout ce qui sert à couvrir le haut de l’écu ; puis les armes de la personne, marquées sur les objets qui lui appartiennent ; enfin les armes de l’Etat, imprimées sur le papier dont l’usage est imposé pour certains actes.

L’histoire d’un mot, ainsi retracée, permet de saisir le sens propre, sans cesse modifié par l’usage, et de suivre le travail continu de la langue qui, partant de la signification première, l’étend ou la restreint de siècle en siècle, suivant les besoins de la pensée.

III. — Bien que notre travail ait pour objet la langue du xviie du xviiie et du xixe siècle, nous remontons à la langue du moyen âge, à l’ancien français, au latin populaire et au bas latin, lorsque cela est nécessaire pour expliquer l’usage moderne. La langue que nous parlons et que nous écrivons est pleine d’expressions, de tournures dont elle ne peut rendre compte par elle-même, et qui s’expliquent par des faits anciens, depuis longtemps oubliés, qui survivent dans l’idiome moderne comme les derniers témoins d’un autre âge.

On peut le voir dans un certain nombre de mots, dont la signification première est tombée en désuétude après avoir donné toute une famille de rejetons, et ne se retrouve plus que dans un emploi particulier, qui fait revivre le sens primitif éteint dans la langue générale.

Tels sont les mots : partir (du latin partiri), dont la signification première partager, conservée dans le composé répartir, a disparu dans le simple, comme on l’a vu plus haut, pour faire place à un sens nouveau : quitter un lieu, et se retrouve seule-

  1. 1. « Jettans ne sçay quoy dedans le timbre, dont soudain fut l’ebulition de l’eau restraincte. » Rabelais, v, 45.