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INTRODUCTION

INTRODUCTION

xv

Laire et le mot savant ont vécu tous deux : alors leur signification est devenue différente, comme dans frêle et fragile ; ou leur emploi distinct, comme d<ins plier et ployer. Tantôt le mot savant a tue le mot populaire : frêleté a disparu devant fragilité. On voit que, dans ces sortes de synonymes, ou l’un des deux mots tombe en désuétude, ou il prend un autre sens, ou il reçoit un autre emploi. Le second cas est celui oii un mot a été modifié, soit par l’addition de préfixes, de suffixes {courber et recoicrber, jour et jou ?mée), soit par de simples différences de construction [monter sur une montagne, et monter un fardeau ; apercevoir une chose et s’ajjercevoir d’une chose). Il est clair que l’addition de préfixes ou de suffixes a dû chang-er le sens, puisque à l’idée qu’exprimait le mot primitif est venue s’ajouter une idée nouvelle ; de même le passage de la forme transitive à la forme pronominale, ou de la forme intransitive à la forme transitive, a modifié nécessairement la signification première.

Dans le troisième cas, qui est le plus étendu, des mots d’origine absolument différente ont reçu de l’usage une application analogue. Ce sont là les véritables synonymes, dont la définition demande une rigueur toute particulière. L’écueil ordinaire, qu’il importe d’éviter, c’est l’habitude de considérer les mots synonymes comme des équivalents et de définir les uns par les autres. Comme l’a dit Pascal* , « en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu’on ne peut plus définir ; donc, pour définir l’être, il faudrait dire : « c’est », et ainsi employer le mot défini dans sa définition. » Mais ces mots primitifs [être, faire, etc.) sont en très petit nombre, et ne sauraient autoriser, pour les autres, le défaut de méthode qui consiste à définir un premier terme par un second, et le second à son tour par le premier : digne par qui mérite, et mériter par être digne de ; prurit par dé ?nangeaiso ?î très vive, et démajigeaison par prurit léger. On dissimule le paralogisme en multipliant les équivalents ; on définit orner par décorer, embellir, parer, et parer par orner, décorer, embellir ; munir par pourvoir, garnir, et pourvoir par garnir, munir ; mais pour être moins apparent le cercle n’en est pas moins réel. Les synonymes que réunit un caractère général qui leur est commun, et que sépare un trait spécial qui les distingue, sont entre eux comme les espèces d’un genre. Il faut donc, pour les définir, les ramener, d’une part, au genre dont ils font partie, et déterminer, de l’autre, le caractère propre à chacun d’eux. Prendre est plus général que saisir : saisir, c’est prendre vivement ; définir prendre par saisir, c’est renverser l’ordre naturel des choses. Il en est de même si l’on donne le genre sans déterminer avec exactitude la différence ; par exemple, si l’on définit terrasser par renverser avec violence : on peut renverser avec violence une lampe, on ne la terrasse pas.

Souvent la nuance est difficile à saisir. Pour la déterminer, la méthode la plus sûre consiste à laisser de côté tous les cas où deux mots peuvent être employés l’un à la place de l’autre, pour observer attentivement ceux où l’un des synonymes est d’un usage constant et où l’autre ne saurait être appliqué. Ainsi, les deux mots danger et péril sont voisins l’un de l’autre ; on dit indifféremment d’une personne qu’elle est en péril ou en danger. Où est la différence ? Nous disons que quelqu’un a fait une chose au péril et non au danger de sa vie. Nous disons d’une maladie, d’une mauvaise société, qu’elle est dangereuse et non qu’elle est périlleuse. C’est que danger éveille surtout l’idée de quelque chose qui est hors de nous, et doit nous causer un dommage, tandis que jom/ exprime plutôt la possibilité de subir le dommage, indépendamment de sa cause. On peut donc dire qu’un poste est dangereux ou périlleux, 1. Pascal, de VEsiprit géométrique.