Page:Hatzfeld - Dictionnaire, 1890, T1, Intro.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
INTRODUCTION

INTRODUCTION

xix

entres dans la lang-ue par une acception spéciale du latin vulgaire ou du bas latin ,

des sens classiques depuis longtemps oubliés.

Le mot grâce vient du latin gratiam. Gratia (de gratus, agréable) désigne d’abord en latin la qualité de ce qui est agréable. De là le sens de faveur, crédit, en parlant de celui qui a su plaire au peuple , aux grands , gagner leurs bonnes grâces , et le sens de charme, en parlant de celui qui a le don de plaire. Puis vient le sens de faveur qu’on reçoit, bienfait, et, par extension, la reconnaissance du bienfait reçu : referre gratiam alicui, rendre grâce à quelqu’un. Enfin ce mot désigne la faveur accordée au coupable à qui l’on remet sa peine : faire grâce à quelqu’un. Si l’on ne considère que le français moderne, le mot grâce présente toutes les acceptions du mot latin gratia. On serait donc tenté de les classer comme en latin, en donnant pour premier sens : qualité de ce qui est agréable. Mais l’histoire du mot oblige à intervertir cet ordre logique si vraisemblable. Le mot gratiam, dans le latin populaire, n’a que les sens de faveur qu’on reçoit et de pardon. Telles sont les acceptions par lesquelles le mot grâce est entré dans l’ancien français, et ce n’est qu’à partir de la Renaissance que les lettrés ont rendu à ce mot son sens primitif : qualité de ce qui est agréable. Le classement des acceptions doit donc donner pour premier sens : faveur reçue ; puis pardon, merci. Et un second paragraphe doit indiquer que, par un retour au latin classique, le mot français s’est enrichi plus tard de sens historiquement antérieurs.

Il en est de même pour le mot dispenser. Il est entré dans notre langue avec le sens spécial du latin ecclésiastique dispensare , accorder une dispense. Le sens du latin classique distribuer a été repris au temps de la Renaissance par les lettrés : a II dispensait son temps en telle façon *.

»

Nous avons jugé nécessaire de placer chaque sens figuré auprès du sens propre dont il relève, au lieu d’énumérer d’abord dans la première partie de l’article tous les sens où le mot est employé au propre, et de rejeter dans la dernière tous ceux où il est pris au figuré. En effet, chacun des sens figurés a son explication nécessaire dans le sens propre spécial auquel il correspond ; l’en séparer, c’est le rendre inintelligible. C’est l’idée de battre du plâtre qui conduit à l’expression figurée de battre quelqu’un comme plâtre ; c’est l’idée d’aplatir une couture avec l’ongle ou avec le dé qui conduit à l’expression figurée battre l’ennemi à plate couture. Le classement des acceptions figurées soulève une question délicate. La plupart de ces acceptions ont pour origine une métaphore : la queue d’une poêle, les pieds d’une table, le bec d’une plume, une bouche à feu, les dents d’une scie, la racine d’un verbe. Faut-il mettre au nombre des sens figurés d’un mot toutes les métaphores auxquelles ce mot a donné lieu ? Si l’on doit faire un choix, quelle sera la règle ? Parmi ces métaphores, il en est qui sont employées d’une manière constante, et non d’une manière exceptionnelle ; par tous ceux qui parlent ou qui écrivent, et non par tel orateur ou tel écrivain ; pour exprimer simplement une idée, et non pour en rendre l’expression plus frappante : c’est ainsi que nous parlons d’une confiance aveugle, d’une lanterne sourde, des sabots d’un cheval. Consacrées par l’usage, claires pour tous, familières à tous, ces figures doivent évidemment prendre place dans le lexique de la langue. Il n’en est pas de même des expressions figurées, plus ou moins pittoresques, que créent les orateurs, les poètes, dans une heure d’inspiration, ou de celles que le premier venu peut imaginer, sous l’influence d’une vive impression. Formées par une alliance de mots neuve, originale, imprévue, ces sortes de métaphores empruntent leur valeur, doivent leur clarté à la place même qu’elles. 1. Rabelais, Gargantua, i, 21.