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INTRODUCTION

Molière, dans le Dépit amoureux, fait dire à Gros-René par Marinette : Tiens, voilà ton beau galant (nœud de rubans, de dentelle) de neige 1[1].

On donne à ces mots de neige le sens de sans valeur, digne de mépris, pour n’avoir pas vérifié un emploi figuré du mot neige au xviie siècle : petite dentelle blanche très légère.

Mme de Sévigné, nous parle dans ses lettres, d’une dame qui arrive coiffée d’un bonnet à double carillon 2[2]. On disait alors, dans un sens figuré, à double carillon, comme le montre cet exemple du Dictionnaire de Cotgrave : Je te frotteray à double carillon. Faute d’avoir constaté cet emploi, on inscrit parmi les sens du mot carillon : « Coiffure usitée au xviie siècle ».

Le mot bataille a désigné non seulement une action où deux armées se battent l’une contre l’autre, mais encore la disposition d’une armée dans un certain ordre pour combattre : Charles XII, dit Voltaire, fait débarquer son canon et forme sa bataille 3[3].

Faute de faire cette importante distinction, on cite à tort ces vers de Corneille :

Attendrons-nous, seigneur
Qu’on descende en la place en bataille rangée 4[4] ?


en donnant au mot bataille le premier sens au lieu du second.

Quand Bourdaloue dit, en parlant de l’institution de l’eucharistie par Jésus-Christ : « Ce sacrement, il nous le propose comme un pain, comme une viande, qui nous doit nourrir 5[5], » celui qui citerait cet exemple en attribuant au mot viande le sens que nous lui donnons aujourd’hui commettrait une étrange méprise. Viande (du latin vivenda) voulait dire au temps de Bourdaloue : ce qui sert à vivre, aliment ; et pour désigner ce que nous appelons aujourd’hui de la viande, on employait alors le mot chair.

C’est pour avoir négligé ces transformations de la langue que Voltaire, dans son Commentaire sur le Théâtre de Corneille, critique souvent à tort, comme des incorrections ou des impropriétés de langage, des expressions, des tournures qui, régulièrement employées au commencement du xviie siècle, avaient cessé d’être en usage cent ans après.


Chaque tête d’article est immédiatement suivie de la prononciation figurée du mot, placée entre crochets. Nous avons suivi la manière de prononcer usitée à Paris dans la société polie et généralement adoptée à la Comédie française, écartant les prononciations provinciales, dont la diversité eût troublé les lecteurs et surtout les étrangers.

La prononciation figurée représente chaque mot dit isolément ; la place que les mots occupent dans la phrase apporte à la prononciation des finales, voyelles ou consonnes, des modifications nombreuses. Nous nous contentons d’indiquer les principales liaisons que l’usage actuel prescrit ou autorise. Il est bon de rappeler ici qu’on paraîtrait s’exprimer avec affectation si l’on donnait trop d’importance à ces liaisons dans le langage familier. Les changements survenus dans l’orthographe, depuis le commencement du

  1. 1. Molière, Dépit amoureux, iv, 4.
  2. 2. Sévigné, Lettres, 489.
  3. 3. Voltaire, Charles XII, 2.
  4. 4. Corneille, Othon, v, 2.
  5. 5. Bourdaloue, Sermon pour le dimanche des Rameaux, 1re partie.