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INTRODUCTION

INTRODUCTION

xxi

V.

CHOIX DES EXEMPLES

Un dictionnaire de l’usage, tel que celui de l’Académie française, peut se dispenser de citations empruntées aux principaux écrivains. Voltaire regrettait toutefois que l’Académie ne donnât, pour les acceptions diverses de chaque mot, que des exemples tirés de l’usage courant, et pensait que des phrases recueillies chez les bons auteurs auraient rendu le Dictionnaire plus intéressant et plus instructif. Un dictioimaire sans citations est un squelette^ dit-il dans une lettre écrite à Duclos. L’Académie a pensé que des exemples empruntés à la vie devaient donner une idée plus juste de l’usage que des textes d’auteurs.

Un dictionnaire dépourvu d’exemples ne serait en effet qu’un squelette. Mais des exemples tirés des écrivains ne sont pas nécessaires pour établir l’emploi contemporain, que chacun peut reconnaître et vérifier par lui-même. Il en est autrement d’un dictionnaire raisonné de la langue, qui doit souvent reproduire des mots oubliés et remonter à des sens disparus , pour expliquer des mots et des sens encore usités. On ne saurait les mettre en lumière sans recourir à des exemples. L’Académie se contente de dire que le mot soupe signifie aujourd’hui potage au pain. Mais nous sommes obligés de citer un exemple emprunté à la vieille langue : « Si fist li rois aporteir pain et vin ; et fist taillier des soupes et en prist une et la manja^ , » pour expliquer et justifier, par le sens ancien du mot soupe (tranche de pain mince), ces locutions encore employées de nos jours : tailler la soupe, tremper la soupe, et, au figuré, être trempé comme une soupe. Il s’agit de dresser l’état de la langue depuis le commencement du xvii* siècle jusqu’à nos jours : la langue a changé, les mots ont subi des transformations durant ces trois siècles ; nous ne pouvons établir ces transformations que par des textes authentiques, qui permettent de passer de l’ancien usage à celui qui existe aujourd’hui.

Nous avons cité les exemples d’après les éditions les plus autorisées, en les vérifiant par nous-mêmes, et en indiquant avec soin la place du texte dans l’ouvrage d’où il était tiré. Il suffit d’un texte dénaturé pour faire croire à des sens que la langue n’a pas connus. Bossuet emploie l’expression se déprendre dans un sens très usité au xvii" siècle, se détacher d’une chose par laquelle on s’est laissé prendre : « (La raison) ne se peut déprendre elle-même de ces pensées sensuelles ^ ; » une faute de copie substitue dépendre à déprendre, et l’on crée au mot dépendre, sur la foi de Bossuet, ce sens imaginaire : se dépendre d’une chose, s’en détacher. Bossuet a écrit dans un de ses sermons : « Les oreilles sont flattées par la cadence et l’arrangement des paroles ’ » Des éditeurs peu clairvoyants ayant lu dans le manuscrit ’.par l’académie et l’arrangement des paroles, sur cette leçon incorrecte, que les éditions critiques ont rectifiée, on a imaginé au mot académie une acception qui n’a jamais existé. Mais il ne suffit pas de cette exactitude matérielle, déjà difficile à obtenir dans un travail d’une pareille étendue. Une autre sorte d’exactitude, non moins importante, est celle qui consiste à prendre les mots d’un exemple historique dans le sens qu’ils avaient au moment où l’auteur a écrit, et non, comme on est porté à le faire, dans le sens qu’ils ont aujourd’hui.

1. Voltaire, Correspondance générale , Lettre à Duclos, 11 août 1760. 2. Récits d’un ménestrel de Reims, 280.

3. Bossuet, Panégyrique de saint Benoit, 1.

4. Id., Seiinon sur la parole de Dieu.