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TRAITÉ DE LA FORMATION DE LA LANGUE FRANÇAISE

hasardés à composer en italien : c’est ce qui explique que la langue de Dante et de Pétrarque offre certains gallicismes facilement reconnaissables, pour le philologue, sous l’habit toscan 1 [1]. En revanche, comme l’influence de la littérature italienne sur la littérature française a été à peu près nulle jusqu’au xvie siècle 2 [2], on ne s’étonnera pas que l’ancien français n’ait pour ainsi dire aucun mot d’origine italienne 3 [3]. Les premiers emprunts se sont produits au commencement du xive siècle, et ils sont dus aux relations commerciales, diplomatiques et, militaires qui devinrent plus fréquentes dès lors entre les deux pays. Il est curieux de les suivre à la piste : brigue remonte à 1314 ; florin apparaît en 1318, voguer en 1337 ; brigand, au sens de « fantassin », est familier à Pierre Bersuire, qui traduit Tite-Live pour le roi Jean vers 1350 ; falot se trouve en 1371 ; Froissart se sert de caraque et de bande (troupe) ; ambassade et ambassadeur remplacent définitivement nos anciens mots ambassée et ambasseor sous Charles VI ; Arnoul Greban, qui compose sa Passion avant la mort de Charles VIE, emploie brigade et calmer ; Chastellain, mort sous Louis XI, se sert de banquet et d’escade (pour escadre) ; Commines et Jean d’Authon, qui écrivent sous Louis XII, nous offrent barde (selle), bastion, cabinet, enfanterie (infanterie), révolter, etc. Enfin, le grand mouvement de la Renaissance, provoqué surtout par les expéditions des Français en Italie, amène une véritable invasion de mots italiens, invasion que l’on peut constater dans toutes les branches de l’activité humaine, mais qui est surtout sensible dans la littérature proprement dite, les beaux-arts (surtout l’architecture et la musique 4 [4]), la guerre et le sport (notamment l’escrime et l’équitation). Les protestations passionnées de Henri Estienne arrêtèrent peut-être un instant l’engouement pour les choses et les mots d’Italie Mais les emprunts reprirent bientôt, plus rares toutefois, et ils ont continué jusqu’à nos jours. Un millier de mots environ sont ainsi venus s’ajouter à notre vocabulaire. En outre, il ne faut pas oublier que l’italien, concurremment avec le provençal et l’espagnol, a contribué au développement du suffixe ade 5 [5], et que nous lui devons le suffixe esque, § 149, et les superlatifs en issime, § 589.

liste des mots d'origine italienne

accaparer, angarie 7 [6], archivolte, babiole, banderole, baroque,

accolade 6 [7], animelle, argousin, bagatelle, bandière, barque,

accort, annonciade, ariette, bagne, bandin, barquerolle,

accoster, anspessade, arlequin, baguette, bandit, barrette,

adagio, antichambre, armeline, baile, banque, barricade (?) 8 [8],

affidé, antiquaille, arpège, baïoque, banqueroute, basin,

affront, apoco, arquebuse, balcon, banquet, basque,

agio, apostis, arsenal, ballet, baraque, basse (pente),

agrouper, appartement, artichaut, ballon, barbaresque, basset (diapason

alarme, appoggiature, artisan, balourd, barbe (cheval), bas),

alerte, aquafortiste, aspic, balustrade, barbe (ministre), bassette,

alpiou, aquarelle, assassin, balustre, barbon, baste (rempli),

altesse, aqua-tinta, atlante, balzane, barcarolle, baster,

altier, arabesque, attaquer, bambin, bardache, bastingue,

alto, arborer, attitude, bamboche, barde (selle), bastion,

amouracher, arcade, avarie, banco, bardot, bastonnade (?) 9 [9],

andante, architrave, avocette, bande (troupe), barigel, bataillon,

  1. 1. Par exemple ciera (franç. chère) ; agio (franç. aise), que nous avons repris dans le terme musical adagio ; congedo (franç. congé), qui nous est revenu sous la forme verbale dans congédier, etc. Plus récemment les Italiens nous ont emprunté hautbois, qu’ils écrivent oboe, et en ont tiré le dérivé oboista, que nous leur avons pris à notre tour et qui a revêtu chez nous la forme bizarre hautboïste.
  2. 2. Laurent de Premierfait a traduit le Decaméron de Boccace sous Charles VI, mais d’après une traduction latine que lui faisait au fur et à mesure un religieux italien.
  3. 3. II faut naturellement ne tenir aucun compte des italianismes que l’on peut relever chez les Italiens qui, comme Aimé du Mont-Cassin, Brunetto Latini, Martin da Canal, Rusticien de Pise, se sont servis de la langue française. Cf. cependant ce qui est dit § 84 de l’origine de cabus.
  4. 4. Le vocabulaire de la musique est encore aujourd’hui tout italien ; les locutions comme afettuoso, agitato, allegro, a piacere, senza tempo, staccato, et tant d’autres, ne sont pas véritablement du français, et nous ne les avons admises que tout à fait exceptionnellement.
  5. 5. En ancien toscan ce suffixe est ada, et non ata comme dans l’italien littéraire actuel.
  6. 7. Vient plutôt du latin angaria, comme le verbe correspondant angarier, de angariare.
  7. 6. Cf. § 11, p. 20, n. 3.
  8. 8. L’italien barricata est plutôt emprunté du français, lequel le tient probablement du provençal. Barricade a désigné d’abord un retranchement fait avec des barriques.
  9. 9. Cf. § 13, p. 26, n. 1.