Page:Hawthorne, La maison aux sept pignons, Hachette, 1886.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ah ! monsieur Holgrave, s’écria-t-elle aussitôt qu’elle put parler, jamais je n’aurai la force d’aller jusqu’au bout… Jamais ! jamais ! jamais !… Je voudrais être morte et reposer déjà dans le tombeau de famille à côté de tous mes aïeux… à côté de mon père, de ma mère et de ma sœur. Et j’y voudrais être avec mon frère, qui certainement aimerait mieux me rencontrer là que dans cet endroit-ci… Le monde est trop froid, trop dur, — et je suis trop vieille, trop faible, trop dépourvue d’espérance !

— Allons, allons, miss Hepzibah, dit tranquillement le jeune homme, une fois la campagne commencée, ces pénibles sentiments ne vous gêneront plus… Vous n’y pouvez échapper maintenant, debout comme vous l’êtes sur l’extrême frontière de votre long isolement, et peuplant le monde, par la pensée, de mille formes hideuses qui vont bientôt vous paraître chimériques et vaines comme les Ogresses et les Fées des contes écrits pour les enfants. Le phénomène le plus singulier de la vie, à mon sens, est que toute chose y perd sa réalité au moment même où on veut la saisir. Il en sera de même pour ce qui vous semble aujourd’hui si effrayant.

— Songez donc que je suis une femme, reprit Hepzibah d’un ton plaintif… Une lady, allais-je dire, mais cette qualification n’appartient plus qu’à mon passé.

— Soit… et qu’importe ? répliqua l’artiste dont l’attitude, toujours affectueuse, laissait cependant percer une pointe de sarcasme. Saluez le départ de ce vain titre ; en le perdant vous n’en êtes que mieux vous même… Je vous parle franchement, chère miss Pyncheon ; ne sommes-nous pas de vrais amis ?… Je regarde cette journée comme une des plus heureuses, que vous