Page:Hawthorne, La maison aux sept pignons, Hachette, 1886.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà tenté l’épreuve, et dès lors, comment une lady de naissance, recluse pendant la moitié de sa vie, totalement étrangère au monde et sous le poids de soixante années, comment pouvait-elle rêver une réussite, alors qu’une femme vulgaire, endurcie, rusée, laborieuse, faite à tout et à tous, avait perdu cinq dollars de son petit capital ?… Le succès s’offrait donc comme entouré d’invincibles obstacles, et l’espoir du succès comme une hallucination folle.

Quelque lutin malveillant, qui voulait sans doute troubler à jamais la cervelle d’Hepzibah, déroula devant son imagination une sorte de tableau panoramique représentant la principale voie d’une grande ville, véritable fourmilière d’acheteurs. Que de magasins, que de magnificences ! Merceries, boutiques de jouets, entrepôts de cotonnades et de toiles avec leurs immenses panneaux de glaces, leurs décors splendides, leurs amples assortiments de marchandises, chacun représentant une fortune, et au fond de chaque établissement d’autres glaces encore plus magnifiques, doublant toute cette opulence par la magie de leurs fantastiques reflets ! D’un côté de la rue, ce bazar superbe où vont et viennent de nombreux commis frisés, parfumés, reluisants de pommade, imbibés d’eau de Cologne, souriant, saluant, clignant de l’œil et jouant de l’aune avec une prestesse merveilleuse. De l’autre, la vieille Maison aux Sept Pignons avec son air rechigné, sa boutique en retrait sous l’étage supérieur qui l’écrase, et enfin Hepzibah elle-même dans sa robe de soie noire rougie par l’usure, installée derrière son comptoir et jetant aux passants sa grimace malveillante. Ce contraste puissant se plaçait