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CONTES ÉTRANGES

XIV

On était en janvier, et le vent qui venait de l’Océan avait amené le dégel. La neige amoncelée sur les toits se fondait et tombait des gouttières comme une pluie d’orage. Dans les rues, cette même neige, durcie par les allées et venues des promeneurs, conservait encore sa splendeur primitive et le souffle printanier n’avait encore pu l’entamer. En avançant la tête, Pierre s’aperçut que si la ville n’était point complétement dégelée, il n’en était pas de même des habitants, qu’un froid rigoureux avait claquemurés pendant deux ou trois semaines. Cette vue le réjouit un moment ; mais au milieu de sa joie il laissa échapper un soupir en voyant de jeunes et jolies femmes glisser légèrement le long des trottoirs, leurs joues roses emprisonnées dans la soie de leurs capelines ouatées, entourées de boas et de fourrures d’hermine, semblables à des fleurs qui surgissent d’un épais feuillage. On entendait tinter de tous côtés les clochettes des traîneaux ; tantôt c’était celui de Vermont qui arrivait chargé de porcs et de moutons gelés par le froid, et peut-être bien aussi de gibier ; tantôt celui d’un honnête marchand avec une cargaison de volaille ; tantôt enfin celui d’un gros fermier venu à la ville avec sa femme, pour trouver le placement d’une provision de beurre et d’œufs. Le couple voyageait dans un vieux traîneau carré, à l’antique, qui servait depuis vingt hivers. Tantôt aussi c’était un élégant gentleman passant, rapide comme l’éclair, dans un léger tandem, ou bien un traîneau de louage tour-