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Page:Hazard – Discours sur la langue française, 1913.djvu/30

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raient les œuvres des bons auteurs, à petites doses ; ils passaient d’Horace à Boileau, puis revenaient de Racine à Virgile. Ils n’admettaient rien à l’honneur de meubler leur esprit qui ne fût d’une qualité exquise. Notre avidité brouillonne nous fait honte par comparaison. Mais ce sont là regrets inutiles ; nous sommes harcelés, comme malgré nous, par le désir de savoir beaucoup, d’apprendre toujours. Nous ne ressemblons plus à ces sages qui limitaient leur promenade à l’enclos de leur jardin ; nous sommes comme ce voyageur qui, touchant à des horizons qui lui paraissaient inaccessibles, en voit d’autres se dérober devant lui, et repart pour les atteindre. On dirait que nous élargissons notre âme à mesure que reculent les limites du monde.

Dès lors, si l’on désirait déjà, autrefois, une langue européenne : à bien plus forte raison exigeons-nous une langue universelle ; universelle dans toute la force du terme, puisque « l’Europe pensante » est devenue toute la terre. Il ne s’agit plus de relier entre elles quelques capitales aristocratiques de l’esprit, mais de fournir à toutes les nations civilisées un idiome qui représente la civi-