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Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/131

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blessure grande ouverte s’échapper à torrents flamme, fumée et sang. Je vois tes fils géants, ceux de l’antique souche, s’élancer, insolents, des abîmes obscurs, en agitant de rouges torches. Ils dressent des échelles de fer et grimpent à l’assaut du firmament, farouches ; et là-haut, les étoiles d’or, dans un crépitement, tombent toutes en poussière. Une impudente main arrache le rideau d’or de la tente de Dieu, tandis que l’innocente troupe des anges se jette à grands cris sur la face. Tout pâle, Dieu est sur son trône ; enlevant sa couronne, il s’arrache les cheveux. Voilà la bande sauvage tout près. Les géants lancent leurs torches rouges dans l’immense empire du ciel ; les nains, de leurs verges enflammées, cinglent les reins des petits anges. Ceux-ci se tordent dans les convulsions de la douleur, et sont ensuite traînés par les cheveux. Je vois là-bas mon bon ange lui-même, avec ses boucles blondes, ses traits pleins de douceur, son amour éternel empreint sur la bouche et l’extase de ses yeux bleus : C’est lui, mon doux ange, qu’un noir kobold hideusement difforme empoigne, blême de peur ; avec un ricanement affreux, il examine son corps délicat, et l’enlace fortement dans une étreinte tendre. Un cri retentissant traverse l’univers ; les colonnes se rompent ; terre et ciel, tout s’effondre. Et c’est l’empire de l’antique nuit.


RATCLIFF

Le dieu du rêve m’entraîna dans un pays où les saules pleureurs avec leurs longs bras verts me faisaient des signes de bienvenue, où les fleurs me regardaient en silence avec des yeux intelligents de sœurs, où le gazouillement des oiseaux résonnait avec confiance, où même l’aboiement des chiens me semblait familier, où les voix et les visages m’accueillaient comme un vieil ami, et où tout néanmoins avait un air si étrange, si étonnament singulier ! J’étais devant une élégante villa. Mon cœur était agité, ma tête était calme. Tranquille, je secouai la poussière de mes habits de voyageur ; et au bruit clair de la sonnette, la porte s’ouvrit.

Il y avait là des hommes, des femmes, beaucoup de figures connues. Tous portaient le poids d’un deuil silencieux et d’une