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Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/217

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je désirais humer l’odeur du tabac de nos pipes allemandes ; mon pied tremblait d’impatience de fouler le sol natal.

« La nuit, je soupirais et j’éprouvais un ardent désir de revoir la pauvre vieille qui demeure non loin du Dammthor ; ma sœur Charlotte demeure tout près.

« Et j’ai soupiré plus d’une fois en pensant à ce noble vieillard qui m’a toujours si vertement tancé.

« Je voulais entendre encore de sa bouche ces mots de : grand imbécile ! qui m’ont toujours résonné dans le cœur comme une douce musique.

« J’avais besoin de revoir la blanche fumée qui s’élève des cheminées allemandes, de marcher sur les bruyères de la basse Saxe et dans ses bois de sapins ;

« J’avais besoin de revoir même ces stations de douleur où j’ai traîné, couronné d’épines, la croix de ma jeunesse.

« Je voulais pleurer encore où j’ai pleuré jadis, où jadis ont coulé mes larmes les plus amères. Je crois que l’on nomme amour de la patrie ce fou désir.

« Je n’aime pas à en parler ; ce n’est au fond qu’une maladie. Mon cœur pudique cache toujours sa blessure à la foule.

« Je hais ce tas de gueux qui, pour émouvoir les masses en leur faveur, étalent sur les places publiques toutes les plaies, tous les ulcères puants de leur patriotisme.

« Ce ne sont que d’éhontés mendiants ! La charité, messieurs et mesdames ! Ils veulent avoir l’aumône. — Un sou de popularité à Menzel et à ses Souabes !

« Ô ma déesse ! tu m’as trouvé aujourd’hui dans une disposition sentimentale ; j’ai le vin tendre. Je suis un peu malade, mais cette maladie ne durera guère longtemps, et je serai bientôt guéri.

« Oui, je suis malade, et tu pourrais me ranimer grandement le cœur avec une bonne tasse de thé ; tu y mettras du rhum. »