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Comme le professeur Massman à Berlin, il n’aime que sa langue maternelle. Jamais il ne voulut mordre au jargon des Grecs et des Romains.

Ourson fier de sa nationalité, il a une sainte horreur des parfumeries françaises. Il dédaigne le savon, ce luxe de toilette moderne, toujours comme le professeur Massman à Berlin.

Mais là où il faut le voir déployer ses talents, c’est lorsqu’il grimpe sur l’arbre qui s’élève du fond du précipice jusqu’à la plate-forme du rocher.

Au sommet de ce rocher, le soir, toute la famille se rassemble autour du père pour s’ébattre dans la fraîcheur du crépuscule.

C’est alors que le vieux Troll aime à raconter ce qu’il a vécu dans le monde, combien il a vu d’hommes et de villes et combien il a souffert,

Ainsi que le fils de Laërte, avec cette petite différence que lui, du moins, était accompagné dans ses pérégrinations douloureuses par sa femme, sa noire Pénélope.

Aujourd’hui Atta Troll raconte aussi les immenses succès qu’il a eus jadis auprès des hommes avec sa danse.

Il affirme que jeunes et vieux l’admiraient avec acclamation, quand il dansait sur les places publiques aux doux sons de la musette.

À l’entendre, surtout les dames, ces délicats connaisseurs, l’auraient applaudi avec fureur et lui auraient lancé des œillades assassines.

Ô vanité de l’artiste ! le vieil ours danseur pense avec une joie mêlée de regrets au temps où le public admirait son talent !

Enthousiasmé par ces souvenirs, il veut donner la preuve qu’il n’est pas un misérable vantard, qu’il a été réellement grand par la danse.

Et soudain il se lève, se pose sur ses pattes de derrière, et, comme autrefois, le voilà qui se met à danser la gavotte, sa danse favorite.