XI
LES FIANCÉS PRÉDESTINÉS
Tu pleures, tu me regardes, et tu t’imagines que c’est mon infortune qui te fait pleurer. Tu ne sais pas, femme, qu’elles coulent pour toi-même, ces larmes que versent tes yeux.
Oh ! dis-moi, ton cœur n’a-t-il jamais eu un soupçon, une lueur subite, te révélant que la volonté du sort nous avait destinés l’un à l’autre ? Unis, ce devait être pour nous le bonheur ; séparés, c’était la ruine.
Il était écrit dans le grand livre du destin que nous devions nous aimer. Ta place était sur ma poitrine ; c’est dans mes bras que se serait éveillée la conscience de ton être, c’est par mes baisers, ô douce fleur ! que je t’aurais délivrée de la torpeur d’un sommeil végétal ; mon souffle aurait allumé en toi la flamme des belles passions humaines, je t’aurais élevée vers moi, élevée vers la suprême vie, je t’aurais donné une âme !
Maintenant que toutes les énigmes sont dévoilées, maintenant que le sable achève de s’écouler dans le sablier, oh ! ne pleure pas ; cela devait être ainsi. Je m’en vais, et toi, restée seule, tu vas te flétrir ; tu vas te flétrir avant de t’être épanouie, tu vas t’éteindre avant d’avoir été enflammée ; tu vas mourir, tu es morte, avant d’avoir vécu !