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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

sérieux, c’est un homme riche et généreux. Avide comme une sangsue, mais prodigue comme… une lorette, dès que cette magnifique aubaine lui est arrivée, en vain vous la chercherez sur le boulevard, à la Chaussée-d’Antin, aux Champs-Élysées, la lorette disparaît ; son ambition, le ver rongeur qui lui sert de remords, c’est le désir de passer pour une grande dame ; de temps en temps le naturel l’emporte bien, mais, tant qu’elle est riche, elle s’efforce de lutter avec ses éclatantes rivales. Vous la rencontrez au bois, en élégante calèche, entre deux et quatre heures, instant où afflue l’aristocratie ; le soir, aux théâtres, à l’Opéra surtout, dans une loge de balcon, où elle étale ses épaules de façon ridicule ; partout enfin, sur les terrains où il lui est permis de suivre celles qu’elle jalouse. Mais, hélas ! l’argent passe avec la sottise de l’amoureux, il faut redevenir lorette, c’est-à-dire pauvre, et retourner aux pieds des inconnus demander l’aumône d’une caresse dorée. On y retourne, et l’on se console, comme on se console de tout, en espérant.

Veut-on savoir quel dialogue s’établit entre cette femme et le coulissier qui la rencontre le soir, lorsque les passants sont nombreux, le gaz splendide et les ruelles sombres ?

Cela est à la fois simple comme Dieu, infâme comme Satan.

Entre deux contredanses, entre deux ouvertures, avant, pendant ou après, l’instant n’est rien, la lorette se promène nonchalamment sur le bitume du boulevard ; au milieu d’un groupe de causeurs, elle a reconnu en un clin d’œil l’homme qu’il lui faut, généralement celui dont le regard a répondu au sien. Désormais elle ne s’écartera plus : vingt mètres en tout sens la sépareront à peine de sa proie ; elle attend. La lorette est le chien d’arrêt, comme le coulissier est le chien courant. Nul, si ce n’est les expérimentateurs, ne remarque sa méthode ; la victime elle-même ne s’en aperçoit que pour