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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

bien, que l’ange est supérieur au poète ; Dieu plaça les êtres par couches, comme le sol terrestre, les supérieures produisent les fleurs, les fruits, et la vie circule en elles avec l’humidité pénétrante des sucs qu’elles renferment ; les inférieures ne sont que rochers et soufre, et le fer le mieux emmanché se brise en les atteignant. Ne parlons que du bonheur évident, par vous attribué au génie, le moindre peut-être, et raisonnons :

Le passé n’est-il pas, pour l’âme humaine, une source incessante de regrets ? Heureux ou malheureux, le sentiment des jours écoulés fait à lui seul une douleur au vieillard. Que sera-ce donc si les premières heures ont été bénies, si elles ont passé comme des fêtes, et que les dernières s’écoulent dans l’isolement et l’indifférence ? Contemplez vos filles au lendemain d’un bal ; fatiguées, flétries, ennuyées, moroses, ne vous fournissent-elles pas le vivant exemple du regret, lequel n’est jamais que le passé comparé au présent. Eh bien ! Lamartine est malheureux, Lamartine souffre, parce que Lamartine est au lendemain.

Non qu’il fût heureux parce qu’il était grand, mais il vivait de sa vie, il planait où les aigles planent, au-dessus des roches et des nuages, et là où vous l’avez mis, il manque d’air, il étouffe, il mord les barreaux de sa cage et bat de l’aile sans être entendu. Vous ressemblez à ces enfants qui admirent le bouvreuil déniché dans la forêt, et jeté dans une volière dorée où abondent la nourriture et l’eau fraiche, et qui disent naïvement à leur mère : Mère, pourquoi donc l’oiseau se blesse-t-il au treillage ?

C’est qu’au-delà du treillage, enfants, il y a la liberté.

C’est que la liberté, c’est la vie, et que, pour l’homme de génie, la vie c’est un nom répété dans la bouche des peuples, c’est le fluide qui jaillit de son âme, et va heurter les autres