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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

ces grands hommes ont gardé l’anonyme, la modestie n’étant pas leur vertu dominante.

Il faut tout dire : nos amateurs sont plutôt des paresseux que des sots ; ils se sont sacrés grands avant d’avoir conquis leur grandeur ; la faute en est peut-être à la société autant qu’à eux-mêmes. Beaucoup d’entre eux ont le talent, mais ils ont oublié que ce dernier est une pierre brute dont le travail fait un diamant ; ils ne travaillent pas.

Je sais qu’il se glisse là comme partout un certain nombre de petits jeunes gens qui se disent hommes de lettres, par la seule raison que, ne sachant point l’orthographe, on les a reconnus incapables de faire des commis ; mais vous comprenez que je ne parle point de ceux-là.

Si vous entrez dans la grande salle du rez-de-chaussée, et que, demandant une chope, vous vous asseyiez dans quelque coin, en promenant votre regard sur les différents points de vue des environs, votre premier mouvement sera l’effroi, et vous vous demanderez si vous êtes bien dans Paris, la ville civilisée. Rien de rassurant en effet dans l’aspect de ce café entre onze heures du soir et une heure du matin, on se croirait plutôt dans un repaire de bandits que dans une assemblée de poètes. Les vêtements y sont impossibles, les chapeaux ne se voient que là, les figures elles-mêmes ont quelque chose des chapeaux et des vêtements… et puis c’est un amas, une cohue, où tout se démène, gesticule, crie, hurle et piétine à faire fuir des sourds et des aveugles. Quelques femmes, et quelles femmes ! ornent de figures plus ou moins fraîches des tables privilégiées ; la chaleur est tropicale, et par conséquent les mœurs relâchées ; c’est un mélange étonnant où règne néanmoins un certain uniforme, la livrée du dieu de la bohème, le sceau qu’il appose au visage barbu de ses prédestinés.

Aucun calculateur ne pourrait approximativement ap-