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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

cette parcelle de l’esprit divin, sans laquelle tout homme est nécessairement incomplet. Que le génie, cette puissance émanée du vouloir et du pouvoir, de la force et du talent, naisse un jour parmi eux, et vous verrez éclore au soleil une rénovation littéraire et philosophique, dont il rassemblera les germes épars. Le génie n’est-il pas semblable à la plante, qui porte dans sa fleur le principe de mille autres fleurs ? Il suffit à créer un système, là où la société tout entière ne voyait que des idées ; il est le lien qui les réunit, en même temps qu’il est la flamme qui les propage… et ces considérations expliquent peut-être jusqu’à un certain point comment beaucoup se disent volés avec la meilleure foi du monde, quand ils entendent un homme exposer et développer au public une théorie qu’ils ont émise après le café et oubliée avant la bière.

L’homme de génie est plus trouveur que créateur ; toutes choses ici-bas sont à lui, parce que seul il a le don de faire fructifier toutes choses. La terre ne devrait-elle pas appartenir à quiconque sait la cultiver ? Et trouvez-vous injuste que le laboureur défriche le terrain d’autrui, quand le possesseur, étendu au soleil, y laisse croître en dormant, les ronces, les chardons et les herbes mauvaises ?

Quoi qu’il en soit, la vie habite cette brasserie ; il y a là des hommes de cœur et de pensée, chose rare. La plupart sont malheureux, et se jettent dans l’ivresse pour s’oublier eux-mêmes. Peut-être ne faudrait-il qu’un mot, un encouragement, pour secouer cette poussière, et démêler le grain de l’ivraie ; mais ce mot, qui le dira ? cet encouragement qui peut le donner ? En attendant, ils rient, ils chantent, ils mangent leur morceau de jambon arrosé d’un grand verre de bière ; puis ils s’en vont, flânant par les rues, le nez aux étoiles, enveloppés du manteau troué de don César, et,