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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

du monde, et je me souviens qu’à douze ans le récit de leurs navigations a failli me rendre fou. Je ne rêvais plus que combats et naufrages, tempêtes et anthropophages, et parfois, la nuit, ma mère, effrayée, accourait à mon lit, où je me débattais dans les plis de mes draps, cherchant une planche de salut, comme au sommet des vagues.

Je ne connais qu’une lecture qui fit sur mon jeune esprit une impression plus grande, ce fut celle de l’Orlando furioso. Mais ce n’est pas ici le lieu d’en raconter les suites.

Quoi qu’il en soit, les voyageurs illustres me paraissent ressembler aux mélodramaturges. À nos grands tragiques une situation suffisait pour émouvoir ; et, pour peu qu’il y eût sur la scène un acteur comme Montfleury, le public s’en allait des larmes dans les yeux. Aujourd’hui, le théâtre a changé de face, on croit n’avoir rien vu quand dix mourants ne se sont point pâmés sur les planches, et, le plus souvent, chacun se retire en riant. Trop d’émotion use les cordes sensibles, l’instrument se fêle sous une pression continue. Ainsi de nos aventuriers : pour vouloir tout considérer dans la nature, ils arrivent à être partout éblouis, si bien qu’ils ne voient plus rien. Le voyageur modeste et reposé admire Dieu dans un brin d’herbe.

Pour voyager ainsi, il n’est pas nécessaire d’avoir un grand courage ni un profond amour de l’humanité, il faut cependant aussi beaucoup de qualités précieuses.

La première est d’être poète : oh ! mais entendons-nous, je ne dis point poète qui fait des vers ; je dis poète qui les pense ; id est, il faut que l’homme, pour trouver du plaisir dans la contemplation des moindres effets de la nature, des plus petits