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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

morne mobilité des ondes enfièvre vos regards, il s’en faut de bien peu que vous ne vous jetiez les yeux fermés au milieu du gouffre effrayant, sous cette tentation irrésistible qu’on a nommée le vertige, et qu’on pourrait appeler le fluide de la mort.

Fritz ne paraissait pas s’inquiéter de cet effet, qui se faisait sentir puissamment sur les fibres de mon cerveau, et me contraignait à fermer les yeux. Au premier paré à virer, j’obéis trop tard. Mon ami me gronda. Lorsque je lui eus fait part de la sensation que j’éprouvais :

« Bah ! dit-il, c’est le mal de mer du canot. On s’y fait ; et cela se guérit par le cigare. »

Fritz, profondément convaincu de l’efficacité de son remède, me le jeta à la figure.

« Je crois, lui dis-je, qu’il serait plus prudent, pour notre sûreté à tous deux, que nous échangeassions nos places.

— Et mon gouvernail ? » dit-il.

Je remarquai que Fritz avait déployé la voile, et qu’il retenait le bout de la corde par la main.

« Tu comprends, continua-t-il, que je dois opposer ou exposer notre voile au vent, suivant les occasions. Le bateau, sans ce soin, irait à la dérive. Nous ne pourrions courir des bordées.

— Je ne serai jamais canotier, » murmurai-je, en m’apercevant que j’ignorais jusqu’aux premiers principes de la manœuvre.

Les premières rives que nous côtoyâmes, je ne saurais vous les décrire : ne les ayant vues que de nuit, elles ont laissé dans mon souvenir comme un reflet vague, dont il est impossible de caractériser le dessin.