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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

sourire sous les caresses de l’encre bleue, quand la lueur d’une bougie, héroïquement dressée sur un vieux chandelier bronzé, laissait, autour du manuscrit, papilloter son ombre comme un chœur de danseuses, quand mon bureau poli reflète sur son acajou mille nuances folles, à l’instant où la lune vacillante, glissant le long d’un nuage, est venue rire à mes côtés, qui peut t’attirer, ô Déesse ! Et de quel démon es-tu éprise, pour qu’il t’ait conseillé de troubler par ta rêverie la verve hilarante de ma muse ? Pourquoi viens-tu où on ne t’appelle pas ? Tant de gens, qui ne te connaissent pas, envient un de tes baisers, et regarderaient comme un bonheur la sensation amère de tes longs cheveux froids sur leur crâne blanchi. Que ne vas-tu trouver ces gens-là ? Certes, ils te choisiraient une couche plus moelleuse que la mienne, peu habituée à recevoir des déesses, à peine préparée pour une mortelle. Tu leur soufflerais à l’oreille de ces choses charmantes qui pénètrent l’âme, et de votre union sacrée jaillirait peut-être un chef-d’œuvre. Mais moi… En vérité tu t’es trompée de porte, et tu n’as pas remarqué en entrant qu’il n’y avait rien de toi dans mes tiroirs, rien pour toi dans ma bibliothèque. Rabelais, Balzac, Sterne, de Maistre, Aristophane, Molière, tous ces maîtres, qui sont là, sentinelles sans vigilance, auraient-ils dû te laisser franchir ce seuil ?

Hélas ! tu ressembles sans doute à toutes les femmes qui savent si bien tromper. Tu viens vers qui ne te désire pas, et tu sais de sages manœuvres pour endormir les gardes et tourner les obstacles.

Il faut donc t’accepter, puisque te voilà. T’accepter, en me croisant les bras, sottise ; l’heure me presse. D’ailleurs tes chants m’endormiraient trop tôt, et rien de moins sain qu’un sommeil anticipé. T’écouter attentivement, et écrire sous ta dictée… c’est le meilleur ; mais que deviendrais-je, dis-moi,