Page:Henri Maret Le tour du monde parisien 1862.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

136
LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

si, dans cette lutte intempestive, ma gaieté reçoit un coup mortel, si je ne la retrouve plus se prélassant à mon chevet, demain, à mon réveil ?

Que le diable puisse te remporter, ô Mélancolie ! dans les enfers d’où tu sors, toi, ton père et tes enfants. Je les connais. Tu es née dans ce siècle ; c’est Byron qui t’a nourrie ; Chateaubriand t’a sevrée, Lamartine t’a fait faire ta première communion, Musset t’a fait commettre ta première faute, et, depuis… Oh ! ce serait une histoire curieuse à raconter que la tienne ; j’en ai les matériaux, et l’écrirai peut-être un jour. J’attendais pour cela que mes cheveux tombés eussent été remplacés par quelques fils blancs qui tendent l’un vers l’autre leurs longs corps décharnés sur le front d’un académicien.

Je comptais sur cette œuvre pour m’obtenir la couronne de laurier de César. Qui diable eût donc pu croire que je te rencontrerais si tôt ?

Oh çà ! parle, au moins. Tu te tiens devant moi, muette, comme un mauvais livre entre les mains d’un enfant. Tourne tes pages, dis-moi quelque chose… par exemple apprends-moi pourquoi tu es venue.

Serpent, ouvre ta mâchoire et montre ton venin.

Qui t’a conduite et fait trouver un chemin que tu ne fréquentes jamais ? Sont-ce des maux humains, la situation des peuples, l’avenir politique des nations ? Vous savez, madame, que je m’occupe peu de ces frivolités, et que le char du monde peut rouler à son gré sans que je prenne d’autre soin que d’éviter à mes vêtements les souillures de boue dont il éclabousse les passants. Pour cela, je me tiens fort loin de sa route, tantôt en avant, tantôt en arrière, et jamais à côté.

Serait-ce donc un mal particulier ? — Encore moins. Je suis de l’école des stoïciens, et je ne crois pas que la douleur