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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

soit un mal. Tous les chagrins du cœur ne peuvent-ils pas être rapportés à ces deux principes généraux : l’amour et la fortune ? Le premier rend malheureux par sa présence, la seconde par son absence.

Pour recevoir celui-là, je suis trop vieux ; pour désirer celle-ci, je suis trop jeune.

Quel est donc ton guide, ô Mélancolie ! que je le connaisse, et je le tue.

Il m’est venu une idée merveilleuse.

Si la mélancolie est une tristesse vague, c’est qu’il n’y a point de causes à son existence. En effet, s’il y avait une cause, et qu’on la connût, la philosophie la détruirait, et par conséquent la mélancolie n’existerait plus. Morta la bestia, morto il veneno. Donc, si elle existe, c’est qu’on n’en connaît pas la cause, et je me serais volontiers brisé les fibres du cerveau à la chercher. Dire que cet effet n’a pas de raison d’être, c’est impossible : ne serait-ce pas briser d’un coup d’aile tous les raisonnements de la science ? Ce n’est pas que ma confiance soit grande en ces raisonnements, mais je me briserais moi-même contre leur granit. Seule, la plume de l’aigle peut impunément se heurter contre la pierre.

Pour nous, pauvres gens, ne serions-nous pas semblables à ce petit oiseau, qu’on m’offrait dans mon enfance pour image de l’infini ? Tous les cent ans, il vient donner un coup de bec à quelque gigantesque bloc de marbre, plus haut que la plus haute cime du Tchamalouri. On demande quand l’oiseau aura mis en poudre le bloc de marbre.

Mais est-ce de cela qu’il s’agit ? Non. Je reviens à ma mélancolie. Son existence est un problème curieux à résoudre