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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

chons qui, je ne sais pourquoi, ont la propriété de salir tout ce qu’ils touchent.

Au premier mot qu’il nous adressa, nous parlâmes tous les deux en même temps, et, dans un chœur formidable, fîmes retentir la voûte du mot pâté, plus d’une fois répété.

Le misérable feignit de ne nous avoir pas entendus, et entama l’énoncé d’une kyrielle de mets, dont aucun ne nous tentait comme le comestible si ardemment convoité. Nous comprîmes que nous étions perdus, ou qu’en tout cas, il y aurait une lutte violente à soutenir. Pourrions-nous en sortir victorieux ? Comme il arrive généralement que le désir s’accroît par la force des obstacles, nous nous sentîmes une avidité d’autant plus violente, que l’objet de notre concupiscence s’éloignait davantage de notre bouche, tout en restant formidablement exposé à nos yeux.

Je ne sais trop ce que nous demandâmes, je ne me rendis aucun compte exact de ce que j’avalai, car à peine l’hôte fut-il revenu à son poste, que Fritz et moi nous tînmes conseil.

Hélas ! nous ne rencontrâmes aucune bonne ressource. Fritz est né en Alsace, et moi… j’ai toujours compris les gasconnades une demi-heure après tout le monde.

Et cependant la croûte du pâté s’était enlevée ; elle gisait dans une assiette. Les habitants sortaient du logis et se pavanaient devant les trois gosiers affamés, qui boulettes, qui écrevisses, qui champignons, qui gibier. Déjà la jeune fille attaquait le premier rang, déjà le père démolissait la muraille.

Fritz retournait piteusement la tête du côté du mur, et, je m’en souviens maintenant, trempait nonchalamment dans l’intérieur d’un œuf frais une mouillette, qu’il lui coûtait vraisemblablement de porter à sa bouche.

« Garçon ! » fis-je en frappant mon verre de mon couteau,

Il n’y avait pas de garçon. L’hôte se leva.