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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

« Nous attendraient-ils à la porte ? murmurai-je.

— Il n’importe, dit Fritz… Le danger est moins grand dehors. Nous sommes deux contre deux. »

De la part de Fritz, cette bravade intempestive me rassura. Pour parler ainsi, il fallait qu’il fût moralement sûr de ne rencontrer aucun adversaire.

Je payai, et nous passâmes, moi le premier, Fritz couvrant la retraite avec le pistolet, entre une double haie de têtes inclinées et de dos courbés.

À la vérité, j’avais oublié de réclamer ma monnaie.

À peine sur le quai, nous aperçûmes deux ombres. Elles se promenaient près de notre canot.

J’interrogeai l’horizon. Aucun tricorne, signalant un sergent de ville, ne s’y faisait pressentir.

La chose ne m’étonna pas : j’étais au fait des habitudes de cette louable institution, qui, pour ménager ses représentants, et afin qu’il ne leur arrive rien de désagréable, a soin de ne les poster qu’aux endroits sûrs, agréables et fréquentés. On ne saurait trop louer cette prévenance administrative.

Si la chose ne m’étonna pas, elle me rassura d’autant moins.

Les deux ombres glissaient toujours.

Comme nous demeurions sans avancer, l’une d’elles se dirigea vers nous d’un pas chancelant et aviné. C’était l’un des hommes au bâton.

Le seul mot qu’il nous adressa fut grand dans sa simplicité. Il faut se reporter au temps de Lycurgue, pour retrouver ces apostrophes brèves et incisives, où tout un discours est en germe, tout un avenir en résolution. À ce laconisme il manque un Homère.

« Faut boire, » dit-il.

Saisissez-vous tout ce qu’il y a d’éloquent dans ce mot :