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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Mieux vaudrait pour vous une banqueroute frauduleuse.

Mieux vaudrait pour vous avoir fabriqué de la fausse monnaie.

Mieux vaudrait pour vous avoir écrit dix romans réalistes.

Dans tous ces cas, vous auriez toujours la ressource de vous brûler la cervelle : la mort purifie tout.

Mais, si vous êtes tombé sur le dos dans un bal, en vain quitterez-vous la vie pour échapper au remords, aux reproches muets de l’humanité, au ridicule enfin : la postérité gardera le souvenir de votre culbute ; ce souvenir poursuivra votre ombre aux enfers et jusque dans les champs Élysées. Là, vous rencontrerez un peuple de mânes, qui souriront en vous regardant : Annibal vous tournera le dos ; César haussera les épaules ; Napoléon ne vous regardera pas. Le cynique Diogène hésitera lui-même à partager son tonneau avec l’homme poursuivi des dieux, et vous n’aurez de consolation qu’entre les bras d’Oreste, meurtrier de sa mère, ou d’Œdipe, époux de la sienne.

Imprégné de ces idées, j’ai commis une monstrueuse infamie, pour éviter ce monstrueux châtiment.

Confiteor.

Je vais rarement au bal, mes goûts m’empêchent de sentir la jouissance qu’on trouve à soulever alternativement la jambe droite et la jambe gauche, aux sons d’une musique qui fait gémir les chiens, sans que personne ait compris l’indignation de ces nobles animaux, artistes par excellence, et dont le goût épuré est digne de tout éloge. On les a accusés de ne pas comprendre l’harmonie ; je crains qu’ils ne la comprennent que trop. Je me suis toujours figuré qu’un habitant de la lune, tombé par hasard au milieu de nous, rirait à se déranger les côtes en contemplant les sauts et soubresauts, exécutés sérieusement et sans but par cet animal qui