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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

mide, le bonhomme étendait un large mouchoir de poche. À présent tout est à tous, le jardin de l’Évêché, la place Royale, le jardin Turc sont envahis, saccagés, perdus pour le Marais. Cependant le rentier ne murmure pas. Il ne murmure pas en songeant que Napoléon III a voulu, dans sa magnanimité, varier la vie de ses humbles sujets, en leur créant des causes sans fin de promenades curieuses. C’est pour l’île Saint-Louis, et pour l’île Saint-Louis seule, n’en doutez pas, que le préfet de la Seine ordonne les démolitions et les voies nouvelles. Cette idée, elle est enracinée dans la tête du bonhomme ; vous ne la lui ôterez que le jour où il verra démolir son île.

Il va voir les travaux. Tantôt ses pas le dirigent au quartier latin : il admire la nouvelle fontaine et le boulevard qu’on continue. Tantôt c’est le pays des halles qui attire ses sympathiques promenades : il compte les pavillons, et chaque fois redemande combien il en reste à construire. « Que c’est étonnant, se dit-il au retour de chacun de ses lointains voyages ; que c’est étonnant, répète-t-il le soir, à quelqu’un de ses amis, qui dirigea ses pas d’un côté opposé ; comment ces diables de gens peuvent-ils s’y prendre pour bâtir ainsi ? — Bah ! dit l’autre, ils ont des moyens. — C’est égal, c’est égal, » reprend le bourgeois enthousiasmé. Le lendemain, la même conversation se répète ; seulement les rôles sont changés. C’est le second, l’interlocuteur de la veille, qui entame l’entretien : « Comment ces diables de gens peuvent-ils s’y prendre pour bâtir ainsi ? — Bah ! dit l’autre, ils ont des moyens. — C’est égal, c’est égal… » Et les jours suivants, la répétition sera la même, avec la variante des rôles.

Pendant ce temps Madame a fait des emplettes, a reçu quelques visites ; elle a continué un dossier de chaise en tapisserie que, depuis un an, elle montre à ses amies, avec un plaisir toujours nouveau et toujours partagé ; si sa jeunesse