Page:Henri Maret Le tour du monde parisien 1862.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

217
LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

nos paupières, le sourire qui se joue sur notre bouche, le frisson qui gagne nos membres, la sensation de folie qui pénètre le cœur, tout cela n’est représenté par rien. Les sons humains peuvent-ils exprimer les pensées surhumaines ? et ne sont-ce pas les grammairiens qui font les langues ?

Oh ! ce Kyrie… Était-ce un souffle de ce puissant génie, qui, jusqu’à ses quatre-vingts ans, fit des chefs-d’œuvre, et qu’on appelle de son nom mortel Haydn ? Était-ce un éclair de Mozart ? N’était-ce pas plutôt un œuvre sans nom d’un de ces auteurs inconnus, flambeaux du moyen âge, météores sillonnant un siècle d’un trait de feu, et mourant, ignorés d’eux-mêmes, dans quelque modeste appentis d’artisan ?

Cette idée, à tort ou à raison, je m’y attachai amoureusement. Il me paraissait beau, sous ces voûtes sonores, élevées, enrichies par tant de bras, par tant de ciseaux tombés dans l’oubli, il me paraissait beau d’entendre résonner et fuir dans l’écho les accents d’une foi pour jamais ensevelie. Ainsi l’harmonie devenait digne du sanctuaire : le dieu caché, célébré par des chants sans auteur, dans un temple que le vague a bâti.

Puis, ayant laissé cette pensée, je n’en eus plus d’autre. Seulement je m’engloutis en moi-même, je perdis tout sentiment, je m’absorbai dans les sons, je devins tout entier mélodie. L’hymne montait vers le ciel, et je montais avec l’hymne… quand soudain Fritz, ayant les pieds chauds, me réveilla de ma torpeur.

Va, brave donneur d’eau bénite, toi qui nous as tendu le goupillon d’un air si suppliant et si doux, puisse la monnaie que je t’ai donnée t’inspirer une suave prière, et surtout je te le recommande, fais-la monter sur l’aile parfumée de ces accords d’enfants.

Mais le donneur a sans doute la voix aigre ; et peut-être ne croit-il plus.