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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

dessert se composait de pommes également crues et de confitures beaucoup trop cuites, attendu que la ménagère, en les retirant, avait entrainé avec elles une bonne partie du chaudron. Cette partie craquait sous la dent, ce qui, sans le petit goût de brûlé qui nous raclait la gorge, n’eût été nullement désagréable. Au contraire, on eût dit avoir avalé un ramoneur, et que celui-ci s’agitait vainement pour remonter dans le gosier. Il me prit une telle frayeur, qu’à un moment, fixé d’avance dans les décrets éternels, je crus le voir jaillir de son étroit tuyau, et l’entendre chanter, en signe d’allégresse, le célèbre ranz des cheminées du pays savoyard.

Mon erreur n’était point complète, car mon voisin de droite avait entamé le premier couplet.

C’était un singulier homme que mon voisin de droite, l’ami de Fritz et notre amphitryon. Non qu’au physique ou au moral ce fût un être différent de nous tous, peut-être un peu plus laid que vous et moi, mais une bonne figure, plus grasse que maigre, plus barbue que spirituelle, plus jaune que rose. Toute la physionomie {et voilà l’extraordinaire) s’était concentrée dans une bouche tortue et inclinée sur le côté gauche, comme si, se croyant appelée à soutenir le visage, elle eût fléchi sous le poids d’une joue, impuissante à équilibrer son fardeau. Chose bizarre ! les yeux étaient gris et ternes, ils roulaient dans leur orbite avec une lenteur désagréable ; les cheveux plats et longs ne disaient rien, le front était muet, le nez maussade et refrogné ; le menton même, tout honteux, se dérobait sous les plis du cou. Seule, la bouche parlait, et ce n’est pas une vérité que j’arrache au