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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

seigneur de la Palisse, elle parlait sans s’ouvrir, et disait une quantité de choses étonnantes.

D’abord les lèvres annonçaient la sensualité.

L’inclinaison à gauche, une funeste tendance à l’ironie.

Puis le chemin en zigzags qu’elle parcourait sur la face, dévoilant de temps à autre, par des ouvertures distinctes, la moitié d’une dent jaune et caverneuse, indiquait, à ne s’y méprendre pas, les pensées les plus secrètes de l’homme, reproduites en titillations fréquentes.

La bouche démontrait encore, et cela plus clairement à nos yeux, l’absence de deux molaires, cause physique de la ligne brisée. Le vulgaire n’eût certainement pas distingué autre chose, mais l’œil de l’observateur va plus loin, et Balzac, en pareille circonstance, n’eût pas manqué de dire qu’en cette bouche il y avait tout un poème.

Pour moi qui ne puis me flatter d’être plus que la vingt-quatrième partie de Balzac, je ne lus qu’un chant du poème, et comme chacun suit sa nature, ce chant se trouva le quatrième, celui de l’amour. Encore n’oserais-je pas dire que ce ne fût mon voisin lui-même qui m’en fit la lecture à haute et intelligible voix. Étonnez-vous ! De ces lèvres décousues, horripilantes, grotesques, découlèrent de suaves paroles ; figurez-vous Daphnis, ayant pris le masque d’une statue de nègre.

Le miel en coulait à flots comme de la bouche de Nestor, non le miel de l’éloquence et de la sagesse, mais celui, plus doux encore, de l’enthousiasme et de la poésie. La singularité morale luttait avec la singularité matérielle, on eût dit un rêve fait au clair de la lune ; un parfum de rose, devenu interne à l’Hôtel-Dieu, quelque émanation de la danse des blondes Willis, apportée par le vent jusqu’au bord de la Cité.

Vous rappelez-vous Pierre Leroux et les caricatures de 1848 ?