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Page:Henri Maret Le tour du monde parisien 1862.djvu/240

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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Eh bien ! cet homme, c’était Pierre Leroux amoureux. Une toute petite chose lui aura manqué, pour devenir un grand philosophe comme ce dernier, ou comme Michelet ; moins que rien peut-être : le talent.

À coup sûr il avait leur puérilité de l’âge d’or, le sérieux imperturbable de leurs définitions érotiques, et la croyance absolue à l’empire de la femme, et l’idéalité de leurs aspirations matérielles, et, plus que tout cela encore, le style emphatique, coloré, qui cache souvent quelque chose, parfois rien du tout, et ferait mieux de se cacher lui-même. En un mot, c’était un interne surprenant.

Pour le moment il chantait la danse des Savoyards.

Or pourquoi chantait-il cette danse ?

« La Savoie est à nous, » dit imperturbablement un monsieur barbu (à quoi bon ? ils l’étaient tous), qui se tenait vis à vis moi, dardant sur mon visage un petit œil gris plein de malice, et semblant me regarder comme le seul écouteur attentif de la société.

Ce monsieur était évidemment ce qu’on est convenu d’appeler aujourd’hui un homme sérieux. Il parlait politique et, de temps à autre, jetait, comme pour saisir des idées, quelques regards sur la brochure placée à ses côtés.

Je suis fort sérieux d’habitude, quoiqu’il puisse vous en coûter de le croire. Aussi je jouis d’une faculté très-précieuse, quoique peu enviable ; je plais instantanément aux beaux diseurs et aux charlatans de toute espèce. Comme d’ailleurs je sais par cœur toutes les maximes de la civilité puérile, je me garde de montrer une oreille inattentive et une face glacée à tous ces persécuteurs de l’humanité. Rien au contraire, je