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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

stéréotype avec une miraculeuse divination, tantôt un sourire sur ma lèvre, tantôt l’intérêt dans mes yeux, de temps à autre j’adresse à l’interlocuteur un geste négatif ou affirmatif, que l’esprit n’ordonne jamais, par l’excellente raison que le pauvre diable, échappé du cerveau, profite de la conversation pour courir les champs et flâner je ne sais où.

Aussi la joie peinte sur mon visage n’est-elle rien moins qu’un mensonge. Car, durant les discours auxquels je ne suis pas tenu de répondre, mon corps débarrassé du peu d’intelligence qui le gouvernait, repose dans un calme inaltérable, précisément comme un peuple sans despote, ou comme un chat qui ronronne sur un oreiller défendu.

Dieu soit béni pour tous ses bienfaits, et spécialement pour m’avoir donné le pouvoir de trouver les ennuyeux amusants !

Cette remarque vous fera comprendre comment, de toutes les paroles du monsieur sérieux, je ne saisis que la dernière, laquelle m’étonna fort, et qui n’était autre que celle-ci :

« La Savoie est à nous. »

Et il jeta les yeux sur la brochure de Prévost-Paradol.

Ce fut alors que mon voisin de droite entonna le chant des ramoneurs ; ce chant, l’étonnante nouvelle que j’apprenais et les confitures brûlées, je ne vous ai parlé de tout cela que pour demander laquelle de ces trois causes fit que mon esprit, alors à trois ou quatre mille lieues d’ici, dormant côte à côte avec une bayadère dans le palais du roi de Delhi, s’en revint d’un saut sur la table desservie, et, dans son élan, tomba sur une soucoupe où il pensa se noyer dans le punch qu’il renversa pour s’échapper,

Si le punch se renversa, j’ai d’excellentes raisons pour ne