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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

pas douter que mon esprit fut le coupable. D’abord ma main ne toucha pas à la soucoupe ; je vous affirme que ma main n’y toucha pas ; je me serais infailliblement brûlé les doigts.

Puis, s’il faut vous le dire, je ne me sentis réellement maître de mes facultés intellectuelles qu’une seconde après l’accident. Ce fut le temps qu’employa le fuyard à se réintégrer dans la maison où il choisit la chambre la plus reculée pour y soigner sa brûlure. J’eus très-chaud à la tête.

Fritz assure que j’avais bu inconsidérément ; mais, seul, je sais à quoi m’en tenir sur la raison de ce phénomène.

Quand mon intelligence fut à peu près rétablie, je m’aperçus que la consternation était dans la salle. Chacun me regardait, et, de quelque côté que je me tournasse, je me voyais le point de mire d’une quantité prodigieuse de reproches flamboyants. C’était un kaléidoscope de colères. Il y en avait de bleues, de rouges, de tricolores, et de gris foncé ; celle de Fritz était particulièrement formidable, et le dépit singulier qu’elle me lançait me présageait une funeste traversée. Je fus sur le point de prendre mon chapeau et de m’enfuir. Je me levai même dans ce dessein, et tout à coup je me surpris à pérorer.

« Messieurs, disais-je, je… certainement… je ne puis nier que le punch soit renversé… C’est un malheur considérable. Messieurs. Je serais un insensé de me disculper à cet égard… Me sera-t-il permis de le faire ? Il est positif que mon esprit ne s’est pas conduit comme un esprit intelligent, je le regrette… Mais un voyage de deux mille lieues change terriblement les idées ; on part gai, on revient triste ; on s’en va gras comme Janin, vos parents vous retrouvent maigre comme Pelloquet… Enfin un peu de folie ne messied pas à l’homme. Lisez le livre de la Sagesse, et gardez note du passage. »