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Page:Henri Maret Le tour du monde parisien 1862.djvu/243

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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Et je repris mon siège, assuré d’avoir incontestablement prouvé mon innocence.

Il se fit un grand murmure, je distinguai les mots… gris… ivre comme trente-six mille hommes… Je me levai.

Mais ma parole se perdit dans le tumulte. En ce moment, la conversation devint générale. On distinguait de temps à autre la basse vibrante du Monsieur sérieux !

« Ce que je pense de Prévost-Paradol, Messieurs… (et ne croyez pas qu’il répondit à aucune interrogation de ce genre), ce que je pense de Prévost-Paradol, Messieurs, je m’honore de n’en rien penser du tout. Style brillant, puissance d’élocution remarquable, pensées vieilles éternellement rajeunies… de l’action… de l’action… Beaucoup de punch, s’il vous plaît, Madame. »

Cette dernière parole s’adressait à la cuisinière qui venait d’entrer, attirée par le bruit.

« L’amour, dit mon voisin de droite, est une fumée bleue qui sort d’un vase plein. »

Il y a dans cette partie de mon voyage une large lacune. D’où vient ? Je ne sais. Ma mémoire paresseuse ne me dévoile pendant quelque temps que bien peu de preuves de mon existence. Encore ces preuves sont-elles perdues dans les nuages, semblables aux rayons de lumière que projette la lune par un temps sombre.

Je me vois d’abord au milieu d’un grand tourbillon. Je roule dans un abîme rond avec une vélocité en raison directe du carré des distances. Bientôt je disparais tout à fait. Le ciel se couvre d’un gris jaunâtre ; l’air me manque ; j’étouffe ;