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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

un cadavre, et rendre à une famille éplorée le corps inanimé d’un de ses membres ?

Pénible devoir d’ailleurs, et que peu de gens remplissent. C’est qu’aussi les noyés sont si verts, les asphyxiés si bleus !

Détournons nos regards de cette petite maison, que l’administration va, je crois, enlever au centre de Paris, pour la transporter quelque part où personne ne puisse aller, changement qui fera de la Morgue un petit monument de luxe à l’usage des trépassés sans aveu, et, tournant notre face où était notre dos, contemplons un spectacle plus gai.

Tout m’invite à parler d’art : le salon est ouvert, et la fontaine Saint-Michel est devant moi.

La fontaine Saint-Michel, par une étrange association d’idées, me rappelle la Pucelle de Chapelain. Non qu’il y ait aucune corrélation réelle entre une vierge et un ange, mais le hasard le veut ainsi.

Vous n’ignorez peut-être pas absolument l’existence de Chapelain. Il y a quelque deux cents ans, vivait un homme dont le génie était universellement admiré, et que la France entière plaçait au-dessus de ses plus illustres contemporains. Pensionné du roi, pensionné des grands, aimé des ducs, aimé des duchesses, choyé par la princesse Henriette, soleil rayonnant au centre de la pléiade des poètes, rival de Ronsard, élève de Malherbe, Chapelain, fils coiffé de quelque démon, jouissait de tous les honneurs dus au talent, de tous les privilèges acquis à la fortune. Corneille, satellite infime, gravitait à peine dans sa gloire ; Racine et Boileau ne l’avaient pas encore chanté,