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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

gée de tables chargées de verres ; et les garçons pensifs se promenaient, ornés de leurs serviettes blanches, semblables de loin aux fantômes errant sur le vaisseau maudit des mers du Nord.

Les spéculateurs ne se rebutèrent point ; ils s’aperçurent que l’établissement d’un restaurant sur un navire ne présentait point aux Parisiens ce caractère franchement original, qui est le cachet du triomphe. Puis, la relation était faible entre le contenant et le contenu ; à peine pouvait-on se targuer de l’abondance des poissons de mer ; nul motif humain ne nous forçait à croire que la marée pût devancer l’heure de Paris au profit des Champs-Élysées.

« Vous ne croyez pas à la marée, dirent les spéculateurs entêtés ; peut-être croirez-vous à la mer elle-même lorsque vous la verrez, sans canal, sans secours officiel, venir baigner vos pieds de ses ondes salées ; lorsque vous sentirez la vague vous prendre sur son dos, la lame vous caresser les flancs. Sans doute alors vous trouverez notre frégate véritablement fantastique ; et vous viendrez enfin chez nous contempler cette chose extraordinaire, que Paris ne vous présentera pas ailleurs.

Et la frégate se remplit de baignoires et d’eau de mer.

L’eau de mer peut être un spectacle agréable ; mais on s’en lasse. Il peut être charmant de faire soixante lieues en chemin de fer, pour s’ébattre au soleil sur la grève caillouteuse, et prendre des sorbets au moment où le blond Phébus s’endort sur le sein de Téthys ; il est moins agréable de plonger dans une baignoire de fer-blanc ses membres arrosés d’une onde saumâtre, et de s’enfermer seul à seul dans une cabine de trois pieds carrés avec les parfums nauséabonds que le grand air absorbe sur l’Océan. Quelques rares voisins, qui ne purent pas se donner le plaisir, se gratifièrent