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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

« Jonathan, veux-tu un cigare ? cria Fritz.

— Le métier de l’écrivain est un noble métier, dit Jonathan. Je voudrais être écrivain. Quoi de plus agréable que d’avoir un papier blanc devant soi, de sentir que ce papier est blanc, et que bientôt vous allez le noircir ? Lorsque mes loisirs me permettront de prendre la plume, peut-être aurai-je plus d’une idée à émettre ; je crains seulement que l’époque ne me permette pas d’affronter de sitôt la lumière de la publicité. Mes œuvres ne pourraient paraître au grand jour. J’y mettrais trop d’énergie, je ne saurais prendre ces atermoiements, qui sont le sentier des âmes faibles ; il me faut une route large et tracée, où la vérité marche sans encombre, dépouillée, nue…

— Cela serait gentil, dit Fritz.

— La vérité n’est pas belle, exclama l’homme sérieux ; ses attraits n’ont rien qui séduise.

— Alors habillez-la, dit Fritz.

— Pardon, monsieur, interrompis-je ; pourriez-vous m’expliquer pourquoi notre ami bondissait, comme madame Saqui, il y a trois minutes et demie ?

— Il y a trois minutes et demie, dit Jonathan, j’étais à bord de ma frégate.

— Je le sais, monsieur ; et je pense que vous avez pu saisir avec quelle grâce et quelle souplesse Fritz exécutait le pas délirant dont je vous parle.

— Parfaitement.

— Eh bien ?

— Je n’y ai rien compris du tout. Quand j’écrirai, j’aurai laissé mûrir mes idées, je ne suis pas de ceux qui s’élancent,