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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

apporte à notre civilisation, ou plutôt combien il corrompt à jamais l’espoir qu’on pouvait garder en l’intelligence populaire. À quoi bon apprendre au peuple à lire et à écrire, si vous secondez ses mauvaises habitudes et ses instincts grossiers, en lui distribuant les vulgarités les plus étranges ? Les connaissances qu’il a acquises ne servent alors qu’à rendre son ignorance plus profonde, et ce que je dis là n’est point un paradoxe : car, inhabile encore à comprendre ce qui est beau, ce qui est grand, l’ouvrier confond dans un même jugement la littérature de Matthieu Lænsberg et les chefs-d’œuvre de Corneille. Ces deux hommes sont pour lui des écrivains.

Dans sa pensée n’est-on pas écrivain comme on est ébéniste ?

En vérité, il vaudrait mieux ne rien savoir que savoir si peu.

Mais, dira-t-on, donnez des chefs-d’œuvre à la multitude : elle ne les comprendra pas ; partant, elle ne pourra les lire. Erreur : le peuple a chanté la Marseillaise et le chant du Départ, le peuple chante encore chaque jour les plus beaux morceaux de nos opéras célèbres ; le peuple, bien guidé, sait comprendre et goûter la véritable poésie comme la véritable mélodie. Il ne répète et ne lit les mauvaises œuvres que parce qu’elles coûtent bon marché, et qu’on ne lui en donne pas d’autres. Pourquoi ? Les poètes sont-ils morts ?

D’ailleurs il en est de même du théâtre.

Un directeur d’une scène de boulevard me disait, l’autre jour :

« Ce qu’il nous faut à nous ce ne sont pas des œuvres bien faites, bien écrites : ce ne sont pas des drames littéraires, comme pourrait en écrire Hugo, comme en a écrit Dumas ; le public n’aime que les grands effets, la pluralité des événe-